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L’auteur rejette encore la seconde hypothèse qu’un grand poète formulait ainsi :

Rien n’est beau que le vrai, dit un vers respecté,
Et moi je lui réponds, sans crainte d’un blasphème :
Rien n’est vrai que le beau, rien n’est vrai sans beauté.

C’était aussi l’avis de Leibnitz, dont la doctrine est ici profondément entendue. Deux principes, suivant Leibnitz, constituent l’entendement et ont présidé à la création : le principe de contradiction qui empêche l’absurde d’être conçu et réalisé, le principe de raison suffisante qui ne permet d’exister qu’aux choses bonnes parmi les possibles, et qu’aux meilleures parmi les bonnes. Mais comment juger du bon ? dit M. Adam ; ne faut-il pas, pour opérer ce jugement, une activité, une volonté souveraine qui est la liberté même ? Ainsi la beauté dépendrait de la liberté et non plus, comme le croyait Leibnitz, des principes nécessaires de l’entendement. Cette vue de l’auteur est certainement juste et même profonde ; mais est-elle véritablement opposée à la pensée de l’auteur de la Monadologie ? Cette nécessité morale dont il parle sans cesse ne se confond-elle pas pour lui avec la liberté véritable ?

S’appuyant maintenant sur Kant et sur la thèse célèbre de M. Lachelier, l’auteur va aboutir à la même conclusion. Nous ne pensons que ce que nous pouvons penser ; or, nous ne pouvons penser les choses que contenues dans l’espace et dans le temps ; par conséquent nous relions, pour les penser, les choses les unes aux autres selon la loi de l’avant et de l’après, en d’autres termes selon la loi de causalité efficiente. D’où M. Lachelier a tiré logiquement cette conséquence que, voulant nous représenter la totalité des choses, nous avons besoin d’un principe qui relie entre elles les séries causales ; ce principe, qui ne peut se concevoir que comme une pensée, est le principe des causes finales. Mais, selon M. Adam, ce principe ne suffit pas à déterminer les choses ; une infinité de séries causales peuvent être réalisées et « le principe des causes finales ne nous apprend pas lesquelles auront la préférence (p. 109). » C’est la liberté seule qui peut choisir ; il faut donc qu’il y ait dans le monde place pour la liberté. Ainsi s’explique la présence de la laideur à côté de la beauté ; selon la thèse de Leibnitz, tout, au contraire, devrait être beau. Or, il est incontestable que tout ne l’est pas. Peut-être l’auteur a-t-il ici perdu de vue cette thèse fondamentale de Leibnitz à laquelle souscrirait volontiers, je is, M. Lachelier, que c’est l’ensemble des choses pris comme tel qui est beau, mais qu’il peut très bien se faire que des choses isolées aient une apparence de laideur. La laideur n’est que l’apparence, et la beauté est au fond de tout.

Quoi qu’il en soit, l’auteur n’est satisfait par aucune des théories précédentes ; il est donc amené à exposer dans une troisième partie celle qu’il adopte. Cette théorie est celle de Kant que l’auteur avoue d’ailleurs reproduire. Il y ajoute des remarques fines et des analyses psychologiques intéressantes qu’on trouvera dans le livre. Dans les sciences,