Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
282
revue philosophique

uns et dans les autres un mélange de spontanéité et de réflexion ; ni les uns ni les autres ne peuvent démontrer leur légitimité. Le plaisir que l’on éprouve à faire une bonne action ne peut pas plus se justifier rationnellement que celui que l’on ressent à la vue de la Vénus de Milo. Il nous semble pourtant que, si la raison ne peut démontrer la supériorité morale d’une action sur une autre action, la première n’a guère de droit à la qualification de bonne. L’auteur a accepté trop facilement la théorie célèbre de Kant sur l’irrationalité des actions morales. Une action qui ne peut se justifier devant la raison peut-elle être une bonne action ? On nous permettra d’en douter. Quoi qu’il en soit, M. Adam n’a pas encore établi entre les sentiments esthétiques et les sentiments moraux la distinction qu’il cherchait. Cette distinction, il croit la trouver en ce point que les sentiments moraux dépendent de la satisfaction d’un besoin de notre nature, tandis que les sentiments esthétiques ne correspondent à aucun besoin. Mais cela ne peut être pour l’auteur qu’une distinction exotérique qu’il se chargera de réfuter lui-même plus tard, quand il nous montrera le beau comme seul capable de donner satisfaction aux tendances opposées de notre nature qui la distinguent de tout ce qui n’est pas elle ; il nous reste à expliquer cette émotion, à dire dans quelle puissance de notre âme se trouvent ses origines. L’école empirique prétend l’expliquer par la sensation, l’auteur s’attache à démontrer que cette explication est insuffisante. La démonstration bien conduite et savamment enchaînée sera lue avec fruit dans le livre ; même après les pages brillantes et judicieuses de M. Guyau[1], on éprouve en particulier un vrai plaisir à lire dans M. Adam sa discussion contre la théorie de M. Spencer, qui soutient que le plaisir esthétique est constitué par le sentiment d’une surabondance de vie qui se déploie au dehors. C’est ce plaisir qu’éprouve l’animal qui joue, et les émotions que l’art excite en nous sont des jeux de même nature. Mais, reprend l’auteur, le jeu est un besoin pour l’animal, « le lion empêché de bondir languit et meurt », tandis que le beau n’est pas un besoin ; il y a, sans doute, ainsi que l’a reconnu Schiller, un jeu de l’imagination qui correspond à ce jeu animal, « mais les rêves capricieux et bizarres auxquels elle s’abandonne alors n’ont pas plus le caractère esthétique que les danses désordonnées d’un sauvage (p. 63). » L’auteur montre encore que l’entendement n’agit pas sans une raison qu’il connaisse et qu’il apprécie ; la raison ne s’amuse pas et cependant l’exercice de son activité nous fait plaisir. En résumé donc, « l’activité artificielle que M. Spencer prend pour type de l’activité esthétique dans toutes nos puissances ne se rencontre véritablement que dans certaines opérations sensitives, à cause de l’intermittence des besoins physiques ; mais là même elle a toujours quelque chose de nécessaire et de désordonné à la fois, qui ne ressemble en rien au plaisir du beau (p. 65). »

  1. Problèmes d’esthétique contemporaine, l. I, ch.  i.