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Ces espérances, d’ailleurs, ou ces craintes, solidement fondées sur l’analogie, ne sont pas nécessaires pour imposer la pratique de la vertu. Celle-ci, quoi qu’il puisse être, reste toujours ce que commande inconditionnellement la conscience. Nos obligations morales découlent d’une loi intérieure que nous ne pouvons violer sans nous condamner nous-mêmes. Mais il n’est pas indifférent sans doute que les conseils de la prudence s’ajoutent aux ordres de la conscience en nous rappelant la probabilité de sanctions futures, analogues à celles que le cours des choses, en cette vie même, attache à notre conduite.

Une probabilité, non une certitude, voilà donc où aboutit la première partie de l’ouvrage, la seule qui intéresse le philosophe. Nous en étions prévenus, mais ce résultat n’est pas médiocre, s’il est véritablement atteint. Vertu, bonheur, malheur et vice sont choses, pratiques, et, pour la pratique, la probabilité suffit parce qu’elle est presque toujours notre seul guide.

IV

Les remarques dont nous avons accompagné notre exposition nous dispensent d’insister sur la critique générale de l’ouvrage. Il est certain que l’Analogie ne répond guère aux préoccupations de la pensée contemporaine. Prendre pour accordée l’existence d’un Dieu intelligent, gouverneur moral du monde, c’est supposer sans preuves ce qui, pour beaucoup, serait fort difficile à prouver. Et si l’on accordait cela, on serait assez coulant en matière de vérités philosophiques pour accorder aisément le reste, c’est-à-dire la persistance, après la vie terrestre, de ce gouvernement providentiel par récompenses et punitions. L’appareil logique de l’Analogie serait presque inutile à qui serait ainsi, par nature, prédisposé aux actes de foi. Le livre un peu lourdement méthodique de Butler est moins œuvre de science que d’édification ; il n’apporte pas grand secours aux convictions des uns, et n’inquiétera que faiblement l’incrédulité des autres.

Il nous semble pourtant que le raisonnement analogique a son prix, et qu’aujourd’hui encore on pourrait l’employer avec quelque succès en faveur de la cause théiste. Le cours des choses, pour parler comme Butler, suit une direction ; dans la nature, comme dans l’histoire, l’évolution, prise en général, est dans le sens d’un progrès. Ce ne sont pas les adversaires de la religion naturelle (nous donnons à cette expression la signification consacrée au xviiie siècle) qui pourront sérieusement le contester ; car la croyance au progrès est précisément celle qui a battu en brèche et prétendu remplacer le dogme d’un Dieu créateur et providence. Toute la