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est de soi distincte et indépendante des organes et de la sensibilité ; nous en avons la preuve analogique dans ce fait que certaines maladies, même arrivées à leur dernière période, laissent tout entière, parfois exaltent la puissance de la pensée. Rien enfin dans l’idée de la mort n’implique la suspension, fût-elle momentanée, de ce pouvoir de réflexion. Il y a plus : « Selon ce que nous connaissons de nous-mêmes, de notre vie présente et de la mort, celle-ci peut immédiatement, dans le cours naturel des choses, nous placer dans un état d’existence plus élevé et plus complet que ne fait la naissance ; — état où nos capacités, notre sphère de perception et d’action peuvent être beaucoup plus grandes qu’à présent. Car, de même que le rapport qui existe entre nous et nos organes extérieurs des sens nous rend capables d’exister dans cette condition d’être sensitifs qui est la nôtre ici-bas, de même, il peut être le seul obstacle naturel qui nous empêche d’exister immédiatement et spontanément dans un état supérieur de réflexion. » La probabilité se fonde ici sur une analogie entre les conséquences du changement que la naissance produit dans notre être et les effets de cet autre changement qui est la mort. La préexistence de l’âme est sous-entendue : c’est presque l’argument platonicien des contraires.

De fausses analogies peuvent cependant nous faire douter de la vie future : celle, par exemple, que l’on tire de la destinée des végétaux. Chez eux, tout périt à la mort : pourquoi n’en serait-il pas ainsi de nous ? Pourquoi les poètes n’auraient-ils pas raison en comparant les générations humaines aux feuilles des arbres, à la fleur flétrie sans retour par le tranchant qui coupe sa tige ? — C’est que la plante n’a pas, comme l’homme, comme l’animal même, un « pouvoir de perception et d’action ». Dès lors, en quoi sa destinée peut-elle nous éclairer sur la nôtre ?

Une dernière analogie, légitime celle-là, permet de croire que la vie future sera comme celle-ci, « un état social, où les avantages de toutes sortes, conformément à certaines lois établies par l’éternelle sagesse, seront naturellement attribuées à chacun en proportion de sa vertu. »

Nous avons insisté sur ce premier chapitre, pour donner une idée de la méthode de l’auteur et du ton général de l’ouvrage. Butler ne cesse de répéter qu’il ne prétend pas fournir des preuves démonstratives, qu’il se contente de probabilités ; mais l’analogie lui permet-elle d’aller même jusque-là ? Ne conduirait-elle pas souvent à des conclusions précisément opposées ? Quoi ! parce que je puis penser encore après qu’on m’a coupé une jambe, il s’ensuit que je puis penser sans cerveau ! Le tourbillon vital entraîne incessamment les