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L. CARRAU. — la philosophie de butler

entre cette même conduite et les conditions de l’existence dans une vie future. Un pareil raisonnement ne donne évidemment qu’une probabilité ; mais, observe Butler, la probabilité est à peu près notre seule règle dans l’ordre de la pratique ; nos déterminations volontaires n’ont en vue qu’un résultat probable, et pourtant nous n’hésitons pas à agir quand les chances favorables nous semblent plus nombreuses. Puisqu’il s’agit ici de bonheur ou de malheur éternels, nous serions insensés de mépriser un guide auquel nous accordons, à juste titre, toute confiance ici-bas.

Quelles raisons avons-nous donc de croire à une vie future ? Il faut le reconnaître, les preuves qu’en donne Butler sont faibles, et leur faiblesse compromet la valeur de tout le raisonnement. Elles se fondent presque toutes sur l’analogie. Les changements que subit l’homme depuis la naissance jusqu’à la mort sont tellement considérables que la mort elle-même pourrait bien n’être qu’une métamorphose comme les autres, et non la plus importante. Certains animaux passent par des transformations encore plus radicales et plus soudaines, sans que leur individualité soit détruite. Nous sommes des êtres vivants, capables d’agir, susceptibles d’être heureux ou malheureux. Ces pouvoirs de vie (living powers) doivent persister après la mort, à moins que la preuve du contraire ne résulte soit de l’essence même de la mort, soit d’une induction tirée de cas analogues dans la nature. Mais ce qu’est la mort en soi, nous n’en savons rien ; nous n’en voyons que quelques effets, comme la dissolution des organes et des tissus, qui n’implique nullement l’anéantissement des pouvoirs actifs et vivants. Quant à l’expérience de la nature, elle ne pourrait avoir pour objet que la destinée des animaux ; mais rien n’autorise à penser que ceux-ci perdent en mourant leurs facultés actives. L’immortalité des brutes paraît probable à Butler ; il serait même tenté de leur accorder des pouvoirs latents qui se développeraient plus tard dans des conditions favorables. — Hypothèse hardie, pour un théologien, et qui rappelle certaines vues de Leibniz.

Un et indivisible, le principe vivant que nous sommes ne saurait être lié à un système d’organes qui se dissolvent et se renouvellent incessamment. L’analogie porte à croire que si le moi résiste à l’écoulement graduel des parties qui constituent le corps, il doit survivre à la séparation plus rapide qui suit la mort. Par analogie encore, nous sommes conduits à penser que la perte de l’organisme entier n’est pas plus fatale que celle d’une jambe ou d’un bras, à l’existence du principe actif et vivant. Mais si le principe survit, en peut-on dire autant de sa faculté de réflexion ? Oui, car la réflexion