Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/269

Cette page n’a pas encore été corrigée


LA PHILOSOPHIE DE BUTLER[1]

L’ANALOGIE


Le xviiie siècle en Angleterre fut loin d’être une époque d’indifférence religieuse. Jamais, peut-être, en aucun pays, les questions relatives à la destinée de l’âme, à l’existence de Dieu, à la divinité du christianisme, ne furent plus universellement et plus passionnément agitées. La controverse fut surtout vive dans le premier tiers du siècle. Des livres comme ceux de Toland, Christianity not mysterious (1696) ; de Collins, Discourse on Freethinking (1713), Grounds and reasons of christian religion (1724) ; de Tindal, Christianity as old as the creation (1730) ; de Woolston, Discourses on miracles (1727-1730) étaient lus avec une avidité que nous avons quelque peine à comprendre aujourd’hui. Au témoignage de Voltaire, les Discours sur les miracles de Woolston, tout remplis de bouffonneries indécentes, se vendirent en peu de temps à plus de 30 000 exemplaires, et quatre évêques usèrent leurs plumes à les réfuter. S’il faut en croire Waterland, « la dispute sur la Trinité occupait les hommes de tous rangs et de toutes conditions, et le Credo d’Athanase était l’objet ordinaire des conversations ». Berkeley rapporte que les gens du monde parlaient morale et religion jusque dans les cafés, les chocolateries, les brasseries et les tavernes. Ce furent, dit-on, des arguments entendus au café qui convertirent le pauvre Toland à la libre pensée[2].

La controverse théiste était dans son fort quand parut, en 1736, l’Analogie. Butler se proposa-t-il spécialement de répondre au livre de Tindal : le Christianisme aussi ancien que la création ? Peut-être ; cependant l’Analogie pourrait avoir un objet beaucoup plus général. Sans doute l’évêque avait surtout à cœur de réfuter le théisme qui niait la nécessité d’une révélation ; mais le penseur, dépassant le point de vue étroit d’une polémique particulière, devait s’attacher à défendre quelques-uns des dogmes les plus menacés

  1. Voir le numéro précédent de la Revue.
  2. Lucas Collins, Butler, p. 97-99.