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étrangère fait résonner une touche de son piano, nommer exactement la note. La « mémoire de l’intonation » lui fait absolument défaut. Il connaît, en revanche, une enfant de dix ans dont les aptitudes musicales sont encore incertaines et qui est douée de cette mémoire. Sur ce point, nos observations concordent avec celles du professeur Stumpf : nous pensons aussi que l’usage des sensations musculaires peut servir de critère indirect dans les jugements sur la hauteur des sons, mais que ce critère n’a point chez tous la même infaillibilité. Quand je m’exerce à improviser sur le piano, avant d’exécuter, je pense une suite de sons, je lui assigne un ton : je vérifie et je constate que le plus souvent le ton supposé diffère du ton réel : mais, d’ordinaire, la différence ne dépasse guère plus d’un ton et demi au-dessus ou au-dessous. Ayant cherché la cause qui empêchait mon erreur de dépasser certaines limites, j’ai cru la trouver dans une habitude, autrefois réfléchie, aujourd’hui inconsciente et automatique. Aussitôt que j’entendais un morceau d’orchestre, je le chantais intérieurement ; je connaissais approximativement l’étendue de ma voix ; mais l’ayant peu étendue, rarement juste, il m’était impossible de déterminer rigoureusement les limites en deçà et au delà desquelles elle ne pouvait s’étendre. Lorsque je chantais intérieurement, j’avais conscience d’efforts musculaires localisés dans l’organe vocal, et c’est sans doute la conscience de ces efforts qui me permettait de déterminer le ton du morceau entendu. Pourquoi cette détermination n’était-elle jamais qu’approximative ? Parce qu’il en était ainsi de la détermination des limites de ma voix. Est-ce à dire que tout chant intérieur s’accompagne de sensations musculaires ? Encore une fois, non. Dans le cas présent, il s’agissait pas seulement de chanter intérieurement à l’unisson de l’orchestre, mais de fixer la tonalité du chant entendu. Il y avait donc exercice d’activité volontaire visant un but précis, et, de plus, nécessité par un défaut de mémoire des intonations[1].

Ce défaut n’est pas tel, qu’à certains moments, on ne le croie disparu. Si je quitte le piano et qu’une autre personne m’y remplace, même après dix minutes d’intervalle, je saurai déterminer avec exactitude le ton du morceau. Ajoutons encore, et ceci donne entièrement raison à M. Stumpf, que les différences de hauteur entre les sons deviennent moins sensibles à mesure qu’ils s’éloignent du médium. Et je ne parle pas seulement pour mon propre compte. La grande majorité est dans ce cas, et l’on peut en donner la preuve,

  1. Ce passage reproduit, aux termes près, un fragment d’une Correspondance publiée dans cette Revue. Voir la livraison de Janvier 1883.