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doigts accompagne cette représentation ; cette image est visuelle, non tactile[1]. Je puis faire naître à volonté des images tactiles, c’est-à-dire me représenter, à l’état extrêmement faible, les images musculaires correspondant aux images visuelles, mais dans la main gauche seulement ; et la raison, c’est qu’en ce moment ma main droite est occupée à écrire. Mais cette suite d’images tactiles, c’est-à-dire d’efforts musculaires, est, je le répète, très faiblement perçue, si même elle l’est, en dépit de toute mon attention. Je la conçois plutôt que je ne me la représente. Si maintenant, au lieu d’un morceau précédemment exécuté par moi, je me représente un morceau d’orchestre, je n’ai conscience que d’images sonores. Il convient d’ajouter, et ce détail me paraît avoir son importance, que je n’ai Jamais chanté, ayant un volume de voix très mince, une étendue de voix très limitée, une justesse de voix très difficile à maintenir, quand je m’accompagne sur le piano en jouant le chant de la main droite, à peu près nulle quand je chante sans accompagnement.

Voilà ce que nous avons non pas expérimenté, mais observé sur nous-même. De véritables expérimentations donneraient peut-être des résultats différents. Toutefois il faut compter avec l’illusion psychologique et lui faire la part assez grande. Expliquez à une personne non prévenue ce que vous entendez par « parole intérieure » ou par « musique intérieure » : dites-lui que nous avons la faculté de nous représenter des images sonores, sans accompagnement d’images tactiles correspondantes, je ne crois pas qu’elle juge le phénomène incomplètement analysé. Si maintenant vous l’avertissez qu’il peut y avoir accompagnement de représentations tactiles, elle jugera cette concomitance possible, et je ne pense guère qu’elle puisse la déclarer probable à moins d’idées préconçues ou de théories préadoptées sur le rôle du sens musculaire. Il nous semble, dirai-je, tout le contraire de ce « qui semble » à MM. Stricker et Delbœuf ; nous pensons avec M. Stumpf que l’oreille guide la voix plutôt que la voix ne guide l’oreille ; autrement les sourds chanteraient juste[2].

IX

On sait que le professeur Stumpf est infinitiste et continuiste (l’un

  1. L’image sonore est même tellement faible qu’elle est comme effacée par l’image visuelle. Pourquoi ? parce que j’ai toujours joué ce morceau avec la musique sous les yeux, qu’ayant la voix très peu étendue, très peu forte et très peu juste, je n’ai pas pris l’habitude de chanter, ni même de fredonner ce que je joue quand je veux m’en souvenir. Chez moi, la lecture mentale prime le chant intérieur.
  2. Cf. Tonpsychologie, § 9, 1.