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L. DAURIAC. — l’acoustique psychologique

évaluer la hauteur relative de deux sons : un son qui monte semble s’éloigner, un son qui baisse, se rapprocher. En outre, les jugements directs de hauteur comportent un grand nombre de critères indirects, comme, par exemple, la perception des mouvements des cordes de larynx. Souvent utiles, ces critères indirects, ne sont point nécessaires. M. Stumpf, au risque d’être appelé nativiste, estime que le contenu d’une sensation peut être l’objet d’un jugement direct. On sait combien cette opinion rencontre d’adversaires.

Lorsque parut l’étude de M. Victor Egger sur la Parole intérieure[1], une controverse s’engagea entre l’auteur et M. Delbœuf. Voici la thèse de M. Egger : la parole intérieure n’est accompagnée d’aucun « tactum buccal ». M. Delbœuf soutient la thèse opposée et propose de définir la parole : un geste sonore. « M. Egger s’imagine quand il se parle à lui-même entendre des sons, mais ne pas sentir de mouvements. Quant à moi, je m’imagine tout juste le contraire. Je m’en aperçois surtout quand j’essaye de prononcer en moi-même des syllabes étrangères pour lesquelles ma langue est rétive. Je ne les entends mentalement que quand je suis parvenu à disposer mon larynx à peu près convenablement. Il est vrai que souvent il m’arrive de chanter de tête un air que ma voix est impuissante à reproduire. Mais, même ici, il me semble que, quand je veux « chanter à haute voix, je vise à donner à mon gosier la forme qu’il prend quand je le répète machinalement[2]. »

L’auteur de le Langage et la Musique[3], M. Stricker, inclinerait vers l’opinion de M. Delbœuf : sa théorie de la « musique intérieure » rejoindrait celle dont le savant professeur de Liège nous a donné l’esquisse. M. Stumpf, lui, se rangerait du côté de M. Egger. Autant qu’il nous est permis d’en juger, la question doit rester ouverte. De quel côté est la vérité ? On ne le sait encore : et même est-il certain qu’il faille nécessairement choisir entre les deux explications ? Dans certains cas, on peut se représenter une image sonore sans essayer de chanter : par exemple, lorsque je me remémore l’andante de la Symphonie en ut mineur, j’entends intérieurement chanter… les violoncelles. Autre exemple : je me représente mentalement, à l’instant même où j’écris, la deuxième Mazurke de Benjamin Godard, qu’il y a une heure à peine je lisais au piano. Je perçois un son intérieur ; de plus, l’image des mouvements de mes

  1. Paris, Félix Alcan, 1881.
  2. Athenæum belge, Bruxelles, 1er novembre 1882, p. 250, colonne 2. — Les passages en italique sont de l’auteur du présent article.
  3. Paris, Félix Alcan, 1885, 1 vol. de la Bibliothèque de Philosophie contemporaine, ch.  xxii, pages 164-178.