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Il vaut mieux avoir affaire à des distances moyennes qu’à des distances considérables ou très petites. Soient deux sensations : laquelle ai-je perçue d’abord ? Pour le savoir, je m’établirai dans une certaine partie de la durée, et j’y prendrai position. C’est du reste le propre des jugements de distance de ne pouvoir être exactement formulés si l’on ne choisit pas tout d’abord un point de comparaison fixe auquel on compare successivement chacun des deux termes.

La théorie des jugements sensibles est maintenant complète, et l’on peut entrevoir, je l’espère, d’après cet exposé rapide, les services qu’elle est appelée à rendre. M. Stumpf apporte aux psychologues ou des enseignements nouveaux ou des éléments nouveaux de controverse. On remarquera le goût de l’auteur pour les recherches de psychologie aiguë : nous appelons ainsi cette psychologie qui se complaît dans les infiniment petits de l’âme et soumet à des tentatives de décomposition les phénomènes réputés indécomposables. Nul ne saurait contester aujourd’hui que, si la vieille psychologie n’a pas encore abdiqué ses droits à l’existence, une autre plus jeune, plus impatiente de vivre et de progresser, a pris naissance à côté d’elle, et, comme elle prend les allures d’une science expérimentale, les savants lui prédisent longue vie. N’oublions pas cependant ce que cette jeune science doit à son aînée, la psychologie d’observation intérieure, et que les progrès accomplis par ses représentants les plus autorisés sont dus principalement à la finesse du sens psychologique, un sens interne, tout interne, rien qu’interne. Nous voici maintenant au seuil de la psychologie musicale.

VII

La musique est l’art de charmer l’oreille par l’application simultanée d’une double méthode. Une mélodie chantée est une suite de sons ; or une suite est tout autre chose qu’une succession. Pour jouer « un air » sur le piano, il ne suffit pas de laisser courir ses doigts sur le clavier ; les enfants qui s’essayent à improviser en font l’expérience. Ce qu’ils jouent ainsi « ne signifie rien », et souvent d’eux-mêmes ils s’en aperçoivent. Pour former « une suite mélodique », la succession des notes ne doit pas être laissée à l’arbitraire. Certaines règles s’imposent auxquelles on obéit, le plus souvent sans les connaître, mais il faut y obéir. L’Improvisateur que Léopold Robert nous représente dans un tableau justement célèbre se laisse diriger par l’inspiration : la foule est là tout autour, silencieuse et comme immobilisée par le charme. C’est un ignorant qu’elle écoute : je me trompe, c’est un savant, mais auquel la science est infuse. Et c’est le cas de beaucoup