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parlé ; il en est aussi d’indirects : mittelbare Sinnesurtheile[1]. Je plonge la main, successivement, dans deux liquides, pour savoir lequel des deux est le plus chaud, et je reste indécis. Mais je puis recourir au thermomètre et chercher, au moyen du sens de la vue, le nombre de degrés auquel s’est élevé le mercure, dans l’un et l’autre liquide. Voilà un exemple de jugement indirect.

Tous les jugements indirects ne sont pas également probables. On peut en distinguer différentes classes. Ainsi on juge souvent d’un objet, non d’après la sensation actuelle, mais d’après la sensation qu’il provoquerait, perçu dans des circonstances différentes. Quand je dis d’une table qu’elle est ronde, je ne la vois point telle. Les jugements sensibles indirects ne sont autres que les perceptions acquises de notre psychologie scolaire et qui s’opposent aux perceptions naturelles. Rien n’est important, mais rien n’est difficile comme de distinguer entre elles, car ici, les apparences sont particulièrement trompeuses. On sait la querelle du nativisme et de l’empirisme.

Les sensations peuvent être analysées ou comparées (Analyse Vergleichung). Distinguer deux sensations, affirmer leur pluralité, c’est ce que M. Stumpf appelle « analyser ». « Comparer, » c’est affirmer un rapport, ou de gradation, ou de ressemblance, ou de fusion. Ces rapports ne sont pas immanents aux impressions des sens et n’ont pas le jugement pour seule origine. Le jugement les découvre, les constate : il ne les crée point. Les termes dont la pluralité se constate doivent occuper en même temps la conscience, soit par la perception, soit par la mémoire : ils restent distincts malgré l’unité du jugement. Pour comparer deux sensations, les faut-il éprouver simultanément ou successivement ? Cela dépend. M. Stumpf estime qu’on apprécie plus exactement deux poids quand on les soulève l’un après l’autre, mais que le rapport entre deux sons s’apprécie mieux quand on les entend résonner ensemble[2].

Dans les analyses et les comparaisons, l’âme est-elle active ou passive ? Sans doute, les sensations ne nous sont pas imposées purement et simplement : on peut les faire naître. Mais le jugement sensible ne dépend pas non plus entièrement de nous. La distinction entre un aigu et un ut grave se fera toujours spontanément. Voilà un exemple d’analyse où l’attention n’intervient pas. — Quelquefois elle intervient. Pour qu’il y ait analyse, il ne suffit pas d’être averti de la pluralité des excitations, il faut, de plus, percevoir cette pluralité. En effet, deux états de conscience que l’on ne distingue pas ne

  1. § 4, p. 87.
  2. § 6, p. 96.