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à un . Donc je n’ai point mal « perçu » : j’ai seulement mal « jugé ». Les personnes sujettes aux erreurs de ce genre n’inspirent qu’une très médiocre confiance ; souvent même, elles n’ajoutent guère foi à leurs propres perceptions, n’étant jamais sûres de ce qu’elles ont vu ou entendu. Leur coefficient de certitude subjective est nul ou presque nul. Cette sorte de maladresse n’est pas toujours inconsciente.

Autre chose est percevoir une sensation, autre chose est l’apercevoir, la remarquer, la nommer, et par conséquent la classer. Quand on nous fait entendre un , la sensation correspondante à l’excitation ne peut être que la sensation . Faute d’attention, je puis néanmoins la prendre pour une autre. L’attention influe donc sur la certitude subjective à ce point, qu’on ne saurait dire jusqu’où son influence s’étend.

Toute erreur doit-elle être mise au compte de la certitude subjective ? Non. Les personnes qui n’ont pas d’oreille ne distingueront pas un ré bémol d’un ut naturel, par exemple. Et l’on s’assurera aisément d’où l’erreur provient, si, faisant résonner successivement les deux notes, on donne lieu à la même sensation. Ici, l’on est en présence d’une sorte d’infirmité. Ceux qui en sont atteints n’en souffrent pas, attendu que dans les conditions de l’existence actuelle la délicatesse du sens musical est un luxe : c’est pourtant une infirmité, et presque incurable. Au contraire, la maladresse dont il a été parlé tout à l’heure, et qui souvent est l’effet de l’étourderie, consiste non à entendre faux, mais à juger faux, c’est-à-dire à ne point reconnaître ce qu’on a entendu : elle n’est donc pas absolument irrémédiable.

V

Plaçons-nous maintenant sur le terrain de la psycho-physique et mesurons la certitude (Zuverlässigkeit) des jugements sensibles[1].

Tout d’abord, la certitude objective se mesure directement. J’évalue, par exemple, la hauteur comparative de deux sons. Si je me trompe, les moyens de m’en apercevoir ne me manqueront pas : inutile de décomposer la certitude objective en ses facteurs élémentaires. Deux causes influent sur elle : la sensibilité (étendue et délicatesse), la certitude subjective. Leur mesure, pour n’être pas indispensable, est cependant possible, et l’entreprendre n’est pas sans intérêt.

Pour avoir le coefficient de la certitude subjective, on pose des

  1. § 3, p. 43.