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L. DAURIAC. — l’acoustique psychologique

au lieu de 3,1416 on écrivait par exemple 3,1460 ou encore 3,1500, l’erreur commise aurait ou pourrait avoir d’assez graves conséquences. Et cependant, de ces trois expressions numériques aucune n’est rigoureusement exacte. Ainsi en est-il des jugements de la deuxième classe : toujours faux, ils ne le sont pas toujours au même degré. Ils comportent donc, eux aussi, plus ou moins de Zuverlässigkeit, c’est-à-dire de probabilité ; j’hésite cette fois à écrire « certitude, » même en dépit de nos conventions.

La « certitude objective » des jugements sensibles est soumise à deux conditions. La première est la sensibilité, die Empfindlichkeit, « c’est-à-dire le degré selon lequel nos sensations correspondent aux excitations qui les provoquent. Cette correspondance fait naturellement défaut quand une excitation ne donne point naissance à une sensation et aussi quand la sensation reste la même malgré un changement survenu dans l’excitation. » En deçà et au delà d’un certain degré, les excitations deviennent insensibles, et ce degré varie selon les individus. Il faut donc tenir compte de l’étendue de la sensibilité. On doit encore tenir compte de sa délicatesse. La délicatesse dépend de l’aptitude à distinguer deux sensations différentes, même extrêmement voisines. Cette aptitude n’est évidemment pas la même chez tous[1].

L’autre condition de laquelle dépend la certitude objective des jugements sensibles est ce que le professeur Stumpf appelle subjective Zuverlässigkeit. Traduisons : certitude subjective[2]. Elle se définit la certitude d’un jugement au point de vue de l’exacte appréhension des sensations comme telles. » Qu’est-ce à dire ? Osera-t-on alléguer que la certitude subjective n’est point également départie à tous les hommes ? Une sensation, comme telle, pourrait donc, parfois, être autre que je ne la juge ? Avant de protester contre l’opinion de M. Stumpf, n’oublions pas que la sensation est un phénomène et que le jugement spontané qui lui succède en est un autre. Je viens d’entendre un ut. Je prends cet ut pour un . Je me trompe, et par là je prouve que mes jugements doivent être marqués d’un coefficient d’incertitude. — Soit, dira-t-on, mais ce sera un coefficient d’incertitude objective ? — Pas du tout. J’ai pris un ut pour un  ? ai-je perçu un  ? Il semble ; et pourtant on a joué ut, on me l’assure. Recommençons l’expérience. — En effet, je m’étais trompé car je reconnais la sensation ; j’affirme en même temps, et qu’elle est la même que tout à l’heure, et qu’elle ne correspond plus

  1. P. 28.
  2. P. 31.