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parfois deux réponses différentes[1] : toutes deux croiront ne pas se tromper ; toutes deux se tromperont, peut-être. Enfin il se pourra que le témoignage de l’une ait plus de valeur que celui de l’autre.

« Nous ne dirons rien[2] de l’évidence que le jugement possède par lui-même aux yeux de celui qui l’énonce. Voici toutefois une remarque particulière à l’adresse des logiciens. Est-ce qu’un jugement sensible (sinnes Urtheil) fondé non sur des principes généraux, mais sur un fait de conscience, comme la sensation, a le même genre d’évidence que les axiomes logiques ? À l’égard de ces « derniers, le doute est impossible : inutile d’en essayer la preuve. » À l’égard des jugements sensibles, il en va tout autrement ici le doute est possible. Quand bien même celui qui juge marquerait ses affirmations du même coefficient de certitude que les axiomes logiques ou mathématiques, peu nous importerait. L’essentiel est de savoir tel degré de confiance qu’ils méritent.

Le terme allemand Zuverlässigkeit signifie tout à la fois « confiance » et « certitude ». Dans notre langue philosophique, le mot certitude ne s’applique qu’aux jugements incontestables ou du moins reconnus tels la certitude est ou n’est pas, et il est contradictoire de comparer « deux certitudes » l’une à l’autre, d’adhérer à la première et de n’adhérer point à la seconde. Dans la langue des gens du monde, le terme certitude a plus d’extension. Très souvent il est synonyme de crédibilité, et dès lors on peut sans contradiction comparer deux jugements au point de vue du degré de certitude qu’ils comportent. Ainsi allons-nous faire. Nous traduirons Zuverlässigkeit par certitude, et nous donnerons à ce dernier vocable son acception la plus large, la plus élastique.

Un jugement sensible a plus ou moins de certitude objective. Par certitude objective, entendons le degré de confiance, non au dire de celui qui l’énonce, mais au dire de ceux qui le consultent. Nous arrivons à l’un des chapitres les plus importants de la Tonpsychologie, d’une importance souveraine et pour le psychologue et pour le logicien. La « logique du témoignage », en effet, est encore toute à faire ou peu s’en faut les remarques de M. Stumpf contribueront à ses progrès.

À combien n’arrive-t-il pas de juger instantanément la nature d’un objet perçu et non pas seulement l’espèce de sensation qui en est le signe ? On ne dit pas : « J’ai la perception d’une table, » mais :

  1. Tonpsychologie, Cf. § II.
  2. P. 22.