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L. DAURIAC. — l’acoustique psychologique

il s’en trouve encore d’assez jeunes, ne s’aveuglent pas sur les défauts de leur cliente. Ils savent la conscience psychologique sujette à caution, capricieuse dans ses témoignages au point de se contredire : ils savent aussi que chaque conscience ne peut parler que d’elle-même, qu’elle n’a point vue sur les autres consciences, qu’elle continue d’être privée, comme au temps de Leibnitz, de fenêtres et de portes…, bref, qu’il faut être toujours sur ses gardes chaque fois qu’on l’interroge. On ne peut ni se passer d’elle ni se fier à elle. Voilà où en sont tous les psychologues, ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui, jusques et y compris les psycho-physiciens. De là vient que le livre de M. Stumpf, malgré la vaste étendue de terrain qu’il découvre et sur lequel, le premier de tous, il s’aventure, confiant dans le succès de son heureuse audace, est moins un traité d’acoustique psychologique qu’une introduction à cette science. Cette science est toute à faire, mais déjà elle s’essaye ; par M. Stumpf elle arrive à la conscience, non point peut-être de ses solutions, tout au moins de ses énoncés. Elle sait ce qu’elle est, ce qu’elle veut. Elle fait entrevoir ce qu’elle peut devenir quand M. Stumpf aura eu des imitateurs et des disciples ; nous lui en souhaitons beaucoup d’habiles et d’audacieux. L’audace ne fut-elle pas toujours et par excellence la vertu des novateurs ?

II

N’exagérons-nous pas à présenter M. Stumpf comme un voyageur à travers des pays absolument nouveaux ? Aussi bien est-il généralement aisé de mettre en doute, quand on le veut, la nouveauté d’une entreprise. Avec un peu de patience et beaucoup de partialité, on réussit, d’ordinaire, chaque fois qu’on en prend la peine, à augmenter la liste des précurseurs. Pour faire peser d’un poids moins lourd dans la balance le mérite d’une originalité reconnue, on ajoute au poids d’une autre originalité soi-disant méconnue : ainsi se rétablit l’équilibre. La justice y gagne-t-elle toujours ?

On se l’est demandé souvent, on se le demandera sans doute à propos de M. Stumpf, dont la Tonpsychologie serait encore à naître, si M. Helmholtz n’avait écrit sa Théorie physiologique de la musique[1]. C’est là un beau livre, que les musiciens liraient avec profit s’ils ne manquaient pour la plupart d’instruction scientifique. Je parle des musiciens français. J’ignore ce qu’il en est des autres, mais je crains que, là où cette instruction élémentaire est absente, l’intelligence

  1. Traduite en français par M. Georges Guéroult. Paris, Victor Masson, 1868.