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société de psychologie physiologique

indéfinie de l’instant d’après. Pendant l’hallucination, ce sentiment disparaît pour faire place à d’autres sentiments très divers, agréables ou pénibles, et qui eux dépendent de la nature des hallucinations. Lorsque les hallucinations sont très nombreuses et très persistantes, surtout lorsqu’il se produit des hallucinations du toucher et de la sensibilité générale, il se crée un état de sensibilité tout spécial qui correspond aux perceptions hallucinatoires et qui est fort différent de l’état de sensibilité qui correspond aux perceptions vraies. Ces sensations anormales ne font pas sur le moi la même impression que les autres sensations, elles ne provoquent chez moi ni des sentiments, ni des actes qui soient semblables à mes sentiments et à mes actes habituels. Mais ma vie psychique ordinaire subsiste néanmoins à côté de cette vie nouvelle : de là l’impression qui se crée très vite dans mon esprit, de deux moi qui coexistent dans ce même individu, sans se mêler, sans presque communiquer l’un avec l’autre, mais qui se regardent l’un l’autre sentir et penser : les perceptions hallucinatoires et les sentiments qu’elles provoquent forment un tout plus ou moins cohérent, les sentiments et les idées de la vie normale en forment un autre beaucoup plus un et plus cohérent, distinct du premier. Si les facultés abstraites de l’esprit sont atteintes à leur tour, on en viendra non plus à se représenter soi-même à soi-même comme étant deux, mais à croire que réellement et en fait l’on est deux. D’ordinaire le moi hallucinatoire est d’une couleur plus sombre que le moi normal qui souffre de son voisinage, qui serait heureux de se défaire de lui et ne peut y réussir ; on passe aisément à l’idée délirante qu’un autre s’est emparé de vous et vous possède. L’attention attirée sur ce point, l’on reconnaîtra facilement dans ce moi malveillant quelques traits vagues, que l’on rendra plus précis par l’attention avec laquelle on les examine, du caractère d’un homme que l’on craint ou que l’on hait, ou qui a pris sur vous plus d’influence que vous ne l’auriez désiré ; et l’on arrivera à se croire possédé par tel individu déterminé. Cela n’est point étonnant, si l’on songe que ce que nous font voir nos hallucinations, c’est ce que nous avons dans l’esprit et que, par conséquent, il nous est très naturel de doter notre moi hallucinatoire des traits de caractère et des façons de sentir qui nous sont familiers. Les conditions qui favorisent chez moi la production des hallucinations sont la solitude, l’alimentation insuffisante, la privation de sommeil, les douleurs nerveuses du cœur, l’extrême fatigue physique, la très grande tension intellectuelle.

Un homme cultivé et réfléchi, tant que ses facultés intellectuelles resteront intactes, ne croira pas à ses hallucinations, bien qu’elles n’aient pas en elles-mêmes de caractères qui permettent de les distinguer des perceptions vraies. La croyance à l’objectivité d’une hallucination provient d’une induction mal faite, d’une erreur de jugement. Les causes de cette erreur peuvent être fort diverses. Ce qui produit la croyance c’est la durée et la cohérence de nos perceptions ; le rôle de notre jugement est d’apprécier cette cohérence et cette durée. S’il en