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voyais pas ma tête devant moi comme un objet extérieur, mais elle était située sa vraie place — dans ses rapports habituels de position avec les autres parties de mon corps : je percevais par des sensations musculaires et tactiles sa place exacte et cependant je voyais sa partie postérieure comme si j’avais été moi-même placé derrière moi. Je rappellerai aussi cette vue très nette de mon cerveau que j’ai eue à Heidelberg. L’image très certainement devrait être située à une certaine distance en avant de l’œil ; si elle est localisée en arrière de l’œil, en un point d’où il ne peut parvenir à l’œil aucun rayon lumineux, c’est que les sensations musculaires et tactiles que j’éprouvais étant rapportées au point où j’aurais rapporté normalement ces sensations, je rapportais au même point par une sorte de confusion l’image visuelle qu’elles provoquaient et dont je concevais l’objet comme cause de ces sensations. Si j’osais risquer une explication, je dirais qu’étant donné que nous extériorisons toujours les sensations d’origine périphérique, il est naturel qu’éprouvant à la fois deux sensations, l’une provenant d’une excitation pathologique des centres sensoriels, l’autre d’origine périphérique, il est naturel, dis-je, que nous rapportions les deux sensations au point où nous aurions rapporté la sensation périphérique, puisque nous n’avons aucune habitude depuis longtemps acquise qui nous permette de localiser en un point précis une sensation centrale.

Je n’ai jamais pu déterminer aucun caractère intrinsèque qui permette de distinguer une hallucination complète (exemple la femme vêtue de blanc, etc.), d’une perception vraie. Les seuls réducteurs de l’image hallucinatoire que j’ai pu déterminer sont les suivants : 1o la courte durée de l’hallucination, sa disparition brusque, comparée à la persistance des perceptions normales ; 2o nous continuons à percevoir un objet réel tant que les conditions grâce auxquelles nous pouvons le percevoir subsistent, tandis que l’hallucination disparaît brusquement sans qu’aucun éloignement ou déplacement de l’objet nous ait prévenu de sa disparition prochaine. C’est un fait intéressant à noter que les hallucinations n’apparaissent pas d’ordinaire d’emblée, mais qu’elles se développent et grandissent, se rapprochent peu à peu, tandis qu’elles disparaissent toujours brusquement ; 3o l’incohérence des sensations ou des séries de sensations hallucinatoires avec les sensations normales ; 4o leur incohérence avec nos souvenirs ; 5o l’impossibilité de faire percevoir à autrui ce que nous percevons nous-mêmes ; 6o le jugement abstrait. Exemple : Je vois une personne que je sais avec certitude être à 200 kilomètres de moi, je sais qu’elle ne peut être là, je ne crois pas à ma perception ; 7o la comparaison entre ces hallucinations identiques aux perceptions vraies et les hallucinations qui s’en distinguent à quelque degré dont j’ai parlé plus haut. Les localisations absurdes aident beaucoup à séparer les unes des autres les perceptions réelles et les perceptions sans objet.

Les hallucinations sont d’ordinaire précédées chez moi par un sentiment d’angoisse, d’attente inquiète ; je suis en proie à la terreur vague,