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société de psychologie physiologique

j’avais vu les meubles, les tableaux à leur place habituelle, et je n’aurais guère pu distinguer cette perception d’une perception réelle, si je ne m’étais aperçu en même temps que j’étais dans mon lit et que mon frère et son ami que je voyais devant mes yeux, dansant et causant avec d’autres personnes, étaient eux aussi couchés auprès de moi.

Depuis lors j’ai eu fréquemment des hallucinations de la vue, de l’ouïe et du toucher ; je ne rapporterai que les plus caractéristiques, celles dont le souvenir m’est resté très précis et très vivant.

Ma famille habitait les environs d’Autun, c’est un pays de forêts et de landes ; je passais une grande partie de mes journées à courir à travers les genêts et les bruyères et parfois je voyais passer devant moi d’immenses lueurs et le Christ vêtu de blanc, entouré d’un nimbe, apparaissait à mes yeux : je ne le voyais qu’un instant, puis tout disparaissait.

Au mois de septembre 1877, toutes les fois que j’entrais sous bois, je voyais devant moi à quelque distance une jeune femme blonde, vêtue de blanc, couronnée de feuilles vertes, qui me regardait ; elle marchait devant moi et se retournait de temps à autre pour me dire ce seul mot : « viens ». Souvent je l’ai suivie des heures entières ; j’avais conscience de n’avoir devant moi qu’un fantôme que j’avais créé moi-même ; la grâce, le charme puissant et doux de cette forme légère qui me guidait à travers la forêt, m’entraînait à ne pas lutter contre moi-même et à ne pas faire usage d’une trop sévère critique. Peut-être aurais-je réussi à dissiper cette vision, si j’avais réagi fortement : j’en doute un peu cependant, tant est grande la netteté avec laquelle, à huit ans de distance, je revois encore ses mouvements, sa façon de marcher, son geste quand elle s’arrêtait et se tournait vers moi. Je retrouvais dans cette jeune femme quelques traits d’une amie plus âgée que moi que j’aimais d’une ardente amitié (cette amitié n’était pas de l’amour, j’avais quatorze ans à peine) ; mais ce n’était pas elle cependant. Cette hallucination persista trois semaines environ : dès que j’entrais sous bois, je voyais apparaître cette femme vêtue de blanc, elle me quittait dès que je quittais la forêt.

Au mois de janvier 1881, débuta une hallucination fort complexe, la plus intense et la plus nette de toutes celles dont j’ai gardé le souvenir et qui persista jusque vers la fin du mois de février. J’étais alors étudiant à la Faculté des lettres de Dijon : j’avais eu beaucoup de soucis et d’ennuis ; des déceptions de toute sorte, des chagrins de famille, des préoccupations d’argent m’avaient attristé et ébranlé très fortement, j’avais beaucoup souffert du cœur (palpitations, spasmes, douleurs aiguës à la pointe du cœur), et le travail continu auquel je m’étais soumis m’avait fatigué si profondément qu’il m’était devenu pénible de causer et d’agir ; jamais en revanche ma pensée n’a eu plus de clarté et n’a été plus complètement maîtresse d’elle-même. Le soir, vers neuf heures, quand j’étais assis à mon bureau, j’entendais ouvrir la porte de mon antichambre, celle de ma chambre ; on traversait ma chambre, j’en-