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société de psychologie physiologique


ÉTUDE DE QUELQUES CAS D’HALLUCINATION OBSERVÉS SUR MOI-MÊME.

On a beaucoup discuté sur l’hallucination, sur les analogies et les différences qui existent entre elle et la perception. On n’a guère d’observations faites par les observateurs sur eux-mêmes avec quelque précision presque toujours en effet les troubles sensoriels sont accompagnés d’autres troubles psychiques, de troubles intellectuels surtout, qui ne permettent pas à ceux qui les éprouvent de décrire avec exactitude et d’étudier scientifiquement les phénomènes dont ils sont les sujets.

On en est donc réduit d’ordinaire à étudier du dehors un phénomène qui par essence est un phénomène interne, on ne saurait en avoir ainsi qu’une connaissance incomplète. À plusieurs reprises, j’ai eu des hallucinations de divers sens, j’ai pu étudier le phénomène à loisir et le regarder de son vrai point de vue, je veux dire, du dedans : aussi, les faits que j’ai pu observer sont-ils, à ce qu’il me semble, de nature à éclaircir la question.

Mes hallucinations m’ont laissé des souvenirs qui sont au nombre des plus vifs et des plus précis que j’aie conservés. Les idées et les sentiments que j’ai eus au cours de ma vie forment une trame d’événements internes qui donnent à ma conscience sa forme et son contenu, et ces sentiments, ces idées, même quand j’ai cessé de les sentir ou de les accepter, c’est à moi comme sujet que je les rapporte. Il y a un ordre entre les souvenirs que j’ai gardé des événements de ma vie intérieure, ils forment une chaîne et, s’il y manque des chaînons, je sais que c’est aux lacunes de ma mémoire qu’il faut m’en prendre : je m’aperçois que ces lacunes existent, et les souvenirs de mes amis peuvent me servir à les combler. Chacune de mes idées, chacun de mes sentiments vient se placer à un moment déterminé de ma vie, et les événements extérieurs eux-mêmes d’après l’époque où ils se sont produits se sont reflétés dans mon esprit avec des couleurs différentes qui me permettent de les situer dans le temps avec quelque précision.

Les souvenirs que j’ai gardés de mes hallucinations sont nettement séparés de tous les autres, ils ne sont point liés entre eux, ni aux autres événements de ma vie psychique ; ils forment des groupes distincts, isolés de toutes les idées, de tous les sentiments, de toutes les images qui les avoisinent : je n’ai aucune raison pour placer les phénomènes dont ils sont les traces à tel ou tel moment de ma vie psychique et ce n’est que leur coïncidence avec tel ou tel événement extérieur qui me permet de les situer en un point déterminé du temps. Il me faut un effort pour me considérer comme le sujet de ces phénomènes, tant est grande l’incohérence qui existe entre eux et tous les autres événements de ma vie mentale.

Il semble qu’il y ait en moi quelque chose qui ne m’appartienne pas, qui me soit étranger, que parmi les états de conscience qui constituent