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je me mis à me promener de long en large, en pensant très vivement au résultat que je voulais obtenir ; et j’étais absorbé par cet exercice, quand on vint me chercher pour voir des malades. Les cas étant pressants, j’oubliai momentanément Mme D… que je devais d’ailleurs rencontrer vers quatre heures et demie sur une promenade publique. M’y étant rendu à cette heure, je fus très étonné de ne l’y point voir, mais je pensai qu’après tout, mon expérience avait bien pu réussir ; aussi, vers cinq heures, pour ne rien compromettre et rétablir les choses en leur état normal, dans le cas où cet état eût été effectivement troublé, par acquit de conscience, je songeai à réveiller mon sujet, aussi vigoureusement que tout à l’heure j’avais songé à l’endormir.

Or, ayant eu l’occasion de voir Mme D… dans la soirée, voici ce qu’elle me raconta, d’une manière absolument spontanée, et sans que j’eusse fait la moindre allusion à son absence de la promenade : vers trois heures, comme elle était dans sa chambre à coucher, elle avait été prise subitement d’une envie invincible de dormir ; ses paupières se faisaient de plomb, et ses jambes se dérobaient — jamais elle ne dormait dans la journée — au point qu’elle avait eu à peine la force de passer dans son salon, pour s’y laisser tomber sur un canapé. Sa domestique étant alors entrée pour lui parler, l’avait trouvée, comme elle le lui raconta plus tard, pâle, la peau froide, sans mouvement, comme morte, selon ses expressions. Justement effrayée, elle s’était mise à la secouer vigoureusement, mais sans parvenir cependant à autre chose qu’à lui faire ouvrir les yeux. À ce moment, Mme D… me dit qu’elle n’avait eu conscience que d’éprouver un violent mal de tête qui, paraît-il, avait disparu subitement vers cinq heures. C’était précisément le moment où j’avais pensé à la réveiller.

Ce récit ayant été spontané, je le répète, il n’y avait plus de doute à conserver : ma tentative avait certainement réussi. Afin de pouvoir la renouveler dans des conditions aussi probantes que possible, je ne mis pas Mme D… au courant de ce que j’avais fait, et j’entrepris toute une série d’expériences dont je rendis témoins nombre de personnes, qui voulurent bien en fixer les conditions et contrôler les résultats. Parmi ces personnes, je citerai le médecin-major et un capitaine du bataillon de chasseurs dont j’étais alors l’aide-major. Toutes ces expériences se ramènent en somme au type suivant.

Étant dans un salon avec Mme D… je lui disais que j’allais essayer de l’endormir d’une pièce voisine, les portes étant fermées. Je passais alors dans cette pièce, où je restais quelques minutes, avec la pensée bien nette de la laisser éveillée. Quand je revenais, je trouvais en effet Mme D… dans son état normal, et se moquant de mon insuccès. Un instant plus tard, ou un autre jour, je passais dans la même pièce voisine sous un prétexte quelconque, mais cette fois avec l’intention bien arrêtée de produire le sommeil, et après une minute à peine, le résultat le plus complet était obtenu. On n’invoquera ici aucune suggestion autre que la suggestion mentale, puisque l’attention