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société de psychologie physiologique

Quand j’essayai de produire l’hypnotisme chez Mme D…, elle n’avait été soumise auparavant à aucune expérience de cette nature. La première tentative réussit d’ailleurs pleinement, après une dizaine de minutes passées à la regarder fixement, et à lui tenir fortement les pouces à pleine main. Par la suite, le même résultat était obtenu, soit seulement en la regardant ou en lui touchant la tête ou la main pendant quelques secondes à peine, et puis enfin, en faisant moins encore, comme je le dirai tout à l’heure.

L’état de Mme D… était alors d’emblée celui du somnambulisme lucide la conversation était facile, l’intelligence du sujet était vive, sa sensibilité paraissait exaltée, et sa mémoire remarquable ; toute image évoquée provoquait une hallucination, mais ce phénomène n’apparaissait jamais spontanément. En même temps, il y avait une insensibilité complète à la douleur, et les membres, qui étaient le siège d’une hyperexcitabilité musculaire très nette, étaient mis en catalepsie par le simple attouchement sans que l’état psychique fût en rien modifié. Au réveil, que je provoquais en promenant le doigt sur les paupières supérieures, la mémoire de ce qui venait de se passer était complètement perdue, mais, dans l’état second, elle faisait une chaîne ininterrompue des faits de son état de veille et de ceux de son état de sommeil.

J’ai dit que j’endormais Mme D… avec une facilité chaque jour plus grande. En effet, après quinze jours environ de cet entraînement spécial, je n’avais plus besoin pour obtenir ce résultat ni du contact ni du regard : il me suffisait de vouloir, tout en m’abstenant de toute espèce de geste qui pût trahir mon intention. Était-elle en conversation animée au milieu de plusieurs personnes, tandis que je me tenais dans quelque coin dans l’attitude de la plus complète indifférence, que je la voyais bientôt, à mon gré, lutter contre le sommeil qui l’envahissait, et le subir définitivement ; ou reprendre le cours de ses idées, selon que moi-même je continuais ou cessais d’appliquer ma pensée au résultat à obtenir.

Et même je pouvais regarder fixement mon sujet, lui serrer les pouces ou les poignets, et faire toutes les passes imaginables des magnétiseurs de profession, si ma volonté n’était pas de l’endormir, il restait parfaitement éveillé, et convaincu de mon impuissance.

Mais bientôt, ce ne fut plus seulement d’une extrémité à l’autre d’une chambre que je songeai à exercer mon action ; d’une pièce à une autre, d’une maison à une autre maison, située dans une rue plus ou moins éloignée, le même résultat fut encore obtenu.

Les circonstances dans lesquelles j’exerçai ainsi pour la première fois cette action à longue distance méritent d’être rapportées avec quelques détails. Étant un jour dans mon cabinet (j’habitais alors Perpignan), l’idée me vint d’essayer d’endormir Mme D…, que j’avais tout lieu de croire chez elle, et qui habitait dans une rue distante environ de 300 mètres de la mienne. J’étais d’ailleurs bien éloigné de croire au succès d’une pareille expérience. Il était trois heures de l’après-midi,