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société de psychologie physiologique


UN FAIT DE SOMNAMBULISME A DISTANCE

Je rapporterai aussi l’observation d’un fait analogue. Il est déjà fort ancien ; mais il a cela de particulier qu’ayant essayé depuis sur diverses personnes et dans maintes conditions différentes de le reproduire, je n’y ai jamais réussi. Ce fait, ne s’étant présenté qu’une seule fois à mon observation, ne m’avait pas, pour cela même, paru devoir être rapporté. Mais, à présent que l’attention est éveillée sur cet ordre de phénomènes mystérieux, il sera peut-être permis de raconter tout ce qui s’y rattache. Ce sont là, en quelque sorte, des pierres d’attente pour l’avenir, c’est-à-dire pour le jour où ces faits épars finiront par constituer une véritable théorie scientifique.

Dans le cours de l’année 1873, étant alors interne à l’hôpital Beaujon, j’ai fait beaucoup d’expériences de somnambulisme. Je n’ai pu constater que sur un seul des sujets endormis par moi le somnambulisme à distance.

C’était une jeune femme d’environ vingt-cinq ans (couchée, si je ne me trompe, au lit nº 11 de la salle des femmes) qui, d’abord difficilement accessible au sommeil, finit, par le fait de l’éducation, par pouvoir être endormie avec une grande facilité. D’abord je l’endormais par des passes ; puis, plus tard, en lui touchant la main ; puis enfin, simplement, en entrant dans la salle.

Le matin, quand j’entrais dans la salle avec mon chef de service, M. le professeur Le Fort, je la voyais aussitôt, dans le fond de la salle où elle était, s’endormir. Mais, comme je ne voulais pas qu’elle fût dans cet état au moment où M. Le Fort serait à côté d’elle, je faisais tous mes efforts pour la réveiller mentalement ; et, de fait, elle se réveillait toujours quelques instants avant que M. Le Fort arrivât au lit nº 11.

S’agissait-il réellement d’un acte de volonté de ma part, soit pour la réveiller, soit pour l’endormir ; ou bien s’endormait-elle et se réveillait-elle spontanément ? C’est là un point que je n’ai jamais pu bien établir. Et si, comme je vais le raconter, l’expérience n’avait pas été faite d’une autre manière, ce sommeil et ce réveil ne prouveraient absolument rien.

Un jour, étant avec mes collègues, à la salle de garde, à déjeuner — notre confrère M. Landouzy, alors interne comme moi à l’hôpital Beaujon, était présent — j’assurai que je pouvais endormir cette malade à distance, et que je la ferais venir, à la salle de garde où nous étions, rien que par un acte de ma volonté. Mais au bout de dix minutes personne n’étant venu, l’expérience fut considérée comme ayant échoué. En réalité l’expérience n’avait pas échoué ; car, quelque temps après, on vint me prévenir que la malade se promenait dans les couloirs endormie, cherchant à me parler et ne me trouvant pas ; et, en effet, il en était ainsi, sans que je puisse de sa part obtenir d’autre réponse pour expliquer son sommeil et cette promenade vagabonde, sinon qu’elle désirait me parler.