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société de psychologie physiologique

messieurs. » Ici encore il faut reconnaître que l’expérience n’avait pas entièrement réussi, la suggestion n’avait pas été exécutée ; peut-on nier du moins qu’elle n’ait été comprise ? Voici maintenant une expérience plus significative. Le 10 octobre, nous convenons, M. Gibert et moi, de faire la suggestion suivante : « Demain à midi fermer à clef les portes de la maison. » J’inscrivis la suggestion sur un papier que je gardais sur moi et que je ne voulus communiquer à personne. M. Gibert fit la suggestion comme précédemment en approchant son front de celui de Mme B… Le lendemain quand j’arrivai à midi moins un quart je trouvai la maison barricadée et la porte fermée à clef. Renseignements pris c’était Mme B… qui venait de la fermer ; quand je lui demandai pourquoi elle avait fait cet acte singulier, elle me répondit : « Je me sentais très fatiguée et je ne voulais pas que vous puissiez entrer pour m’endormir. » M. Bernheim et M. Richet ont déjà parlé de ces personnes qui inventent des raisons pour s’expliquer à elles-mêmes un acte qu’elles font nécessairement sous l’influence d’une suggestion. Mme B… était à ce moment très agitée ; elle continua à errer dans le jardin et je la vis cueillir une rose et aller visiter la boîte aux lettres placée près de la porte d’entrée. Ces actes sont sans importance, mais il est curieux de remarquer que c’était précisément les actes que nous avions un moment songé à lui commander la veille. Nous nous étions décidés à en ordonner un autre, celui de fermer les portes, mais la pensée des premiers avait sans doute occupé l’esprit de M. Gibert pendant qu’il commandait et elle avait eu aussi son influence. Voici une troisième expérience qui ne mériterait pas d’être racontée, car elle réussit moins bien que la précédente, mais elle est intéressante cependant car elle montre combien le sujet peut résister à ces suggestions mentales. Le 13 octobre, M. Gibert lui ordonne toujours par la pensée d’ouvrir un parapluie le lendemain à midi et de faire deux fois le tour du jardin. Le lendemain elle fut très agitée à midi, fit deux fois le tour du jardin, mais n’ouvrit pas de parapluie. Je l’endormis peu de temps après pour calmer une agitation qui devenait de plus en plus grande. Ses premiers mots furent ceux-ci : « Pourquoi n’avez-vous fait marcher tout autour du jardin… j’avais l’air bête… encore s’il avait fait le temps d’hier par exemple… mais aujourd’hui j’aurais été tout à fait ridicule. » Ce jour-là il faisait fort beau et la veille il pleuvait beaucoup : elle n’avait pas voulu ouvrir un parapluie par un beau temps de peur de paraître ridicule. La suggestion avait au moins été comprise si elle n’avait pas été exécutée entièrement. M. Ch. Richet, dans son livre sur l’homme et l’intelligence, écrivait il y a peu de temps : « Selon les magnétiseurs de profession, un sujet peut exécuter un ordre pensé et non exprimé. J’ai souvent cherché à vérifier cette assertion. Il ne m’a pas été donné de réussir. Cependant les résultats incohérents que j’ai obtenus m’autorisent à affirmer que la question ne doit par être tranchée par une négation a priori. Il y a lieu de rechercher encore et d’étudier » (p. 184). Je suis heureux que M. Ch. Richet, si compétent en cette matière, ait admis