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heures. Ces actes évidemment trop compliqués n’avaient pas été exécutés ; mais, au moment même où M. Gibert les ordonnait de Graville, j’avais vu sous mes yeux à deux kilomètres de distance l’effet que ces commandements produisaient et un véritable commencement d’exécution. Il semblait réellement que Mme B… ait senti ces ordres, qu’elle y ait résisté et qu’elle n’ait pu désobéir que par une sorte de distraction de M. Gibert. Nous avons recommencé cette expérience en nous mettant alors près d’elle pendant le sommeil léthargique. Il est singulier de remarquer que le résultat n’a pas été plus considérable, comme on aurait pu s’y attendre. Par un commandement mental la personne qui a endormie Mme B… peut assez facilement la faire se dresser sur son séant et se lever même entièrement ; mais, soit que la concentration de pensée ne dure pas assez longtemps, soit pour toute autre cause, Mme B… ne tarde pas, comme elle le dit, « à se rattraper » et à retomber en arrière. L’ordre donné mentalement a une influence qui paraît immédiate ; mais, autant que nous avons pu le voir, cette influence ne semble pas plus considérable de près que de loin.

Mais les suggestions mentales, car ce mot me paraît ici bien à sa place, peuvent être faites sur Mme B… d’une autre manière et avoir un tout autre succès. On réussit peu, comme nous l’avons dit, quand on lui commande d’exécuter l’ordre immédiatement pendant le sommeil ; on réussit beaucoup mieux quand on lui commande mentalement une action à exécuter plus tard quelque temps après le réveil. Le 8 octobre M. Gibert fit une suggestion de ce genre : sans prononcer aucun mot il approcha son front de celui de Mme B… pendant le sommeil léthargique et pendant quelques instants concentra sa pensée sur l’ordre qu’il lui donnait. Mme B… parut ressentir une impression pénible et poussa un gémissement ; d’ailleurs le sommeil ne parut pas du tout être dérangé. M. Gibert ne dit à personne l’ordre qu’il avait donné et se contenta de l’écrire sur un papier qu’il mit sous enveloppe. Le lendemain je revins auprès de Mme B… pour voir l’effet de cette suggestion qui devait s’exécuter entre 11 heures et midi. À 11 heures 1/2 cette femme manifeste la plus grande agitation, quitte la cuisine où elle était et va dans une chambre prendre un verre qu’elle emporte ; puis, surmontant sa timidité, se décide à entrer dans le salon où je me trouvais, et toute émue demande si on ne l’a pas appelée ; sur ma réponse négative elle sort et continue plusieurs fois à monter de la cuisine au salon sans rien apporter d’ailleurs. Elle ne fit rien de plus ce jour-là car bientôt elle tomba endormie à distance par M. Gibert. Voici ce qu’elle raconta pendant son sommeil : « Je tremblais quand je suis venue vous demander si on m’avait appelée… il fallait que je vienne… c’était pas commode de venir avec ce plateau… pourquoi veut-on me faire porter des verres… qu’est-ce que j’allais dire, n’est-ce pas… je ne veux pas que vous fassiez cela… il fallait bien que je dise quelque chose en venant. » En ouvrant l’enveloppe je vis que M. Gibert avait commandé hier à Mme B… « d’offrir un verre d’eau à chacun de ces