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contraire elle obéissait entièrement à M. Gibert qui n’avait pas été présent ; enfin ce fut M. Gibert qui dut la réveiller, et cela prouve bien qu’il l’avait endormie. Cependant ici encore un doute peut subsister. Mme B… n’ignorait certainement pas la présence de M. Gibert dans la maison ; elle savait également qu’il était venu pour l’endormir ; aussi, quoique cela me paraisse bien peu vraisemblable, on peut supposer qu’elle s’est endormie elle-même par suggestion, au moment précis où M. Gibert le lui commandait de la salle voisine. Le 3 octobre je suis entré chez M. Gibert à 11 h. 1/2 du matin et je l’ai prié d’endormir Mme B… par un commandement mental sans se déranger de son cabinet. Cette femme n’était alors prévenue en aucune façon, car nous ne l’avions jamais endormie à cette heure-là ; elle se trouvait dans une autre maison à 500 mètres au moins de distance. Je me rendis aussitôt après auprès d’elle pour voir le résultat de ce singulier commandement. Comme je m’y attendais bien elle ne dormait pas du tout : je l’endormis alors moi-même en la touchant, et, dès qu’elle fut entrée en somnambulisme, avant que je lui aie fait aucune question, elle se mit à parler ainsi :

Je sais bien que M. Gibert il a voulu m’endormir… mais quand je l’ai senti j’ai cherché de l’eau et j’ai mis mes mains dans l’eau froide… je ne veux pas que l’on m’endorme ainsi… je puis être à causer… cela me dérange et me donne l’air bête. » Vérification faite elle avait réellement mis ses mains dans de l’eau froide avant mon arrivée. J’ai rapporté cette expérience, quoiqu’elle ait échoué, parce qu’elle me semble curieuse à différents points de vue. Mme B… semble donc avoir conscience même à l’état de veille de cette influence qui s’empare d’elle ; elle peut résister au sommeil en mettant ses mains dans de l’eau froide ; enfin elle ne se prêtait pas complaisamment à ces expériences, ce qui peut être considéré comme une garantie de sa sincérité. — Le 9 octobre, je passai encore chez M. Gibert et le priai d’endormir Mme B… non pas immédiatement, mais à midi moins vingt. Je me rendis immédiatement auprès d’elle et sans M. Gibert, qui, ne peut, j’en suis sûr, avoir eu aucune communication avec elle. Je comptais l’empêcher de mettre ses mains dans de l’eau froide si elle l’essayait encore. Je ne pus la surveiller comme j’en avais l’intention, car elle était enfermée dans sa chambre depuis un quart d’heure, et je jugeai inutile de l’avertir en la faisant descendre. À midi moins un quart je montai chez elle avec quelques autres personnes qui m’accompagnaient : Mme B… était renversée sur une chaise dans une position fort pénible et profondément endormie. Le sommeil n’était pas un sommeil naturel, car elle était complètement insensible et on ne pouvait absolument pas la réveiller. Remarquons encore que ni moi ni aucune des personnes présentes nous n’avions d’influence sur elle et que nous ne pouvions nullement provoquer la contracture. Voici les premières paroles qu’elle prononça dès que le somnambulisme se déclara spontanément : « Pourquoi les avoir envoyés ainsi ?… Je vous défends de me faire faire des bêtises pareilles… ai-je l’air bête !… pourquoi m’endort-il de chez lui, M. Gibert… je n’ai pas eu le temps de mettre mes