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société de psychologie physiologique

répétée par moi de diverses manières nous a prouvé que pour endormir Mme B… il fallait concentrer fortement sa pensée sur l’ordre du sommeil qu’on lui donnait, et que plus la pensée de l’opérateur était distraite, plus le sommeil était difficile à provoquer. Cette influence de la pensée de l’opérateur, quelque extraordinaire que cela paraisse, est ici tout à fait prépondérante, à un tel point qu’elle peut remplacer toutes les autres. Si on presse la main de Mme B… sans songer à l’endormir, on n’arrive pas à provoquer le sommeil ; au contraire, si l’on songe à l’endormir sans lui presser la main, on y réussit parfaitement. En effet, nous laissâmes Mme B… assise au bout de la chambre, puis, sans la toucher et sans rien dire, M. Gibert, placé à l’autre bout, pensa qu’il voulait la faire dormir : après trois minutes le sommeil léthargique se produisit. J’ai répété la même expérience plusieurs fois avec la plus grande facilité ; il me suffisait, en me tenant il est vrai dans la même chambre, de penser fortement que je voulais l’endormir et elle s’endormait en effet. Je réussis même ainsi à l’endormir un jour malgré elle et quoiqu’elle fût dans une grande agitation, mais il me fallut cinq minutes d’efforts. Dans les circonstances que je raconte, il n’est pas absolument certain, j’en conviens, que ce soit bien la pensée de l’un de nous qui ait endormi Mme B… Peut-être pourrait-on supposer, et c’est sans doute ce que soutiendrait M. Bernheim, qu’il s’agit ici d’une suggestion ordinaire du sommeil. Notre présence, notre attitude, le silence ne pouvaient-ils pas provoquer chez cette femme l’idée du sommeil et par suite le sommeil même ? Cela est à la rigueur possible ; voici cependant quelques difficultés. Il m’est arrivé plusieurs fois en attendant M. Gibert de rester près de Mme B… dans la même attitude méditative, dans le même silence, sans penser à l’endormir, et le sommeil ne commençait pas du tout. Au contraire, dès que, sans changer d’attitude, je songeais au commandement du sommeil, les yeux du sujet devenaient fixes et la léthargie commençait bientôt. En second lieu, si l’attitude des personnes présentes eût suggéré le sommeil, je ne m’expliquerais pas pourquoi la personne seule qui avait provoqué le sommeil par la pensée pouvait provoquer pendant la léthargie les phénomènes caractéristiques de la contracture et de l’attraction. En résumé en s’en tenant à ces faits, la supposition que notre pensée influait sur le sujet et contribuait à provoquer le sommeil présentait quelque vraisemblance.

C’est pourquoi nous avons fait dans la même direction quelques expériences à mon avis plus décisives et plus curieuses. Sans prévenir Mme B… de son intention, M. Gibert s’enferma dans une chambre voisine à une distance du sujet de six ou sept mètres, et là essaya de lui donner mentalement l’ordre du sommeil. J’étais resté auprès du sujet et je constatai qu’au bout de quelques instants les yeux se fermèrent et le sommeil commença. Mais ce qui me semble particulièrement curieux, c’est que dans la léthargie elle n’était pas du tout sous mon influence. Je ne pus provoquer sur elle ni contracture ni attraction quoique je fusse resté auprès d’elle pendant qu’elle s’endormait. Au