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En effet, au bout d’une dizaine de minutes, quelquefois plus, le sommeil paraît être moins profond ; Mme B… semble rêver, elle change rapidement de physionomie et commence à parler tout haut. Bientôt elle se redresse sur son séant et entre dans cet état particulier que les magnétiseurs de profession appellent état de lucidité et qu’on peut désigner sous le nom de somnambulisme proprement dit. Elle est maintenant très sensible à toutes les impressions ; elle entend tout ce qu’on lui dit et répond avec intelligence. Mais le caractère, ainsi qu’on l’a fréquemment remarqué, n’est plus du tout le même qu’à l’état de veille. Au lieu d’être simple et timide, Mme B… est devenue subitement très hardie, très vive, pleine de caprices et toute disposée à se moquer de tout le monde, quelquefois avec esprit. Après être restée quelque temps dans cet état, vingt minutes ou plus, Mme B… paraît fatiguée, surtout si on l’a tourmentée par des questions difficiles, elle s’étend de nouveau en arrière et rentre spontanément dans l’état de sommeil que j’ai précédemment décrit. De nouveau au bout d’un quart d’heure elle se réveille en somnambulisme pour retourner encore au premier état, et elle passe alternativement par ces deux états pendant toute la durée du sommeil. C’est pendant un des accès de somnambulisme que l’on peut réveiller entièrement Mme B… ; il faut pour cela lui souffler sur les yeux et agiter l’air avec les mains au-devant de la figure ; mais c’est encore la personne qui l’a endormie qui seule peut réussir à la réveiller. Telle est la description générale du sommeil provoqué chez Mme B…, description qu’il était nécessaire de faire avant d’insister sur certains points particulièrement intéressants.

Nous avons cherché à déterminer dans des expériences malheureusement trop peu nombreuses dans quelles conditions et par quelle influence le sommeil était provoqué. Je supposais d’abord que la fixation du regard jouait ici quelque rôle, comme on l’avait souvent constaté. Mais il ne fut pas difficile d’éliminer cette hypothèse ; nous endormions Mme B… avec tout autant de facilité et sans y mettre plus de temps si nous avions les yeux fermés ou même recouverts d’un bandeau. La pression de la main paraît au contraire avoir plus d’importance : un jour j’avais endormi Mme B… en lui pressant la main plus fortement et plus longtemps qu’à l’ordinaire, et le sommeil parut être beaucoup plus profond. J’entends par là que les phases que l’on peut appeler léthargiques furent beaucoup plus longues, tandis que les accès de somnambulisme furent plus rares et plus courts. Si au lieu de presser simplement la main on applique exactement le pouce contre celui du sujet, on provoque beaucoup plus vite le sommeil ; je réussis à l’endormir ainsi en une minute, tandis qu’il m’en fallait ordinairement trois. Mais si la pression de la main a une certaine influence, il est aussi évident que ce n’est pas la cause unique, ni même la cause principale du sommeil. M. Gibert tenait un jour la main de Mme B… pour l’endormir ; mais il était visiblement préoccupé et songeait à autre chose qu’à ce qu’il faisait : le sommeil ne se produisit pas du tout. Cette expérience