Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
189
ANALYSES.j.-h. witte. Le criticisme de Kant, etc.

l’intuition, et Stohr juge faussement pouvoir interpréter les analogies sans recourir à l’esthétique transcendantale. On ne les peut entendre, a dit le maître, si l’on n’en connaît les rapports avec la sensibilité, sur la nature de laquelle l’esthétique a précisément pour office de nous instruire.

Le grand point de la querelle des criticistes contre les positivistes et les sceptiques est toujours à savoir si l’on accepte l’usage, la fonction liante, pourrait-on dire, des analogies, et M. Witte, parlant de « l’appréhension simultanée et successive », écrit : « Si j’appréhende la variété comme unité, je n’appréhende pas par le moyen des sens, ni de la seule représentation associative, mais par le moyen de la représentation aperceptive « catégoriale » et consciente. » Stohr a confondu, lui, l’appréhension de la diversité phénoménale avec celle des phénomènes divers. Kant encore ne confond jamais la succession des actes de la conscience avec la conscience de cette succession, que ces actes soient des sensations ou des représentations ; et c’est pourquoi l’idée du temps a une valeur nécessaire, en sa doctrine, que l’école de Hume n’avait su reconnaître.

La critique de M. Witte dépasse Stohr. Elle atteint Hume ; elle atteint M. de Hartmann, qui n’était point autorisé par Kant à faire de la conscience non saisie dans l’expérience un contenu « inconscient » ; elle atteint Wundt et Lipps, parce qu’ils ont éliminé de la psychologie cette substance âme, où Kant voyait le fondement de la vie générale. Elle atteint en bloc les positivistes, dont le précepte de « s’en tenir aux phénomènes et aux effets » n’est qu’un nouveau dogme : comme si phénomènes et effets pouvaient se détacher de la conscience, et les effets en particulier se détacher des substances et des forces, c’est-à-dire des rapports d’enchaînement saisis comme substance et comme cause !

Fichte, Schelling et Hegel, d’un côté, Schleiermacher, Herbart et Schopenhauer, de l’autre, ont pu sembler également disciples de Kant, parce qu’ils pensaient demeurer avec lui sur le terrain de la critique de la connaissance. Mais combien ne s’éloigne-t-on pas de l’esprit de Kant, quand on prétend à fonder une théorie de la connaissance où seraient instituées des « normes » générales, applicables à la connaissance en son entier et sans y distinguer les parts de l’intuition et de l’entendement ? Ceci est le cas, écrit M. Witte, chez Trendelenburg, Ueberweg, Wundt, Sigwart, non moins que chez Mill, Comte et autres. Kant s’est élevé, répète-t-il, au-dessus du point de vue de la logique formelle, qui ne voit que le contour des concepts, et sa logique transcendantale en cherche plutôt les rapports essentiels, qui se retrouvent à travers les formes variées de nos jugements. Aux formes de nos jugements ont répondu, désormais, des rapports entre les concepts, et la logique ne peut plus rester cette simple théorie de la conclusion qu’elle a été. Une bibliographie de la littérature de Kant, depuis surtout ces vingt-cinq dernières années, établie avec ordre, est à signaler en terminant dans la brochure de M. Witte.

Lucien Arréat.