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sentiment et provoque la sympathie ou l’antipathie). Cependant l’homme se juge responsable, et sur ce jugement Kant a pensé pouvoir établir le postulat de la liberté. Les actions restent pour Kant des effets, et il déclare, lui aussi, que nécessité et responsabilité s’excluent mais le devoir pratique ne passe pas sous ces fourches caudines de la logique. Le vice de son raisonnement, observe M. Paul Rée, est de n’avoir pas vu que les hommes, pour expliquer les actions comme des effets (erklaren), ne les considèrent pas pour tels (betrachten) ; ils signalent les motifs (motive), ils ignorent les causes profondes (ursachen) ; ils restent donc dans l’illusion, et le philosophe ne saurait se prévaloir d’aucun jugement qui associerait à la nécessité l’idée invincible d’une certaine liberté. Un tel jugement ne se trouve pas, sauf dans le préjugé ou dans l’ignorance, et le fait où elle s’appuyait se dérobe à l’argumentation.

On connaît la suite, et cette distinction théorique du monde de la chose en soi, où Kant se flattait de trouver pour la liberté une place que le monde de l’expérience, régi par la loi de causalité, ne lui donnait pas. « La liberté, conclut M. Paul Rée, n’est pas une vérité morale, elle est une erreur psychologique. »

Lucien Arréat.

Dr J.-H. Witte. Kantischer Kriticismus gegenueber unkritischen dilettantismus. Bonn, Cohen, 1885, iv-66 p. in-8o.

Cette brochure est une réponse à une réplique. M. le prof. Witte y dispute pour Kant contre Stohr avec beaucoup de vivacité. L’œuvre de Kant a pu être, par malheur, interprétée de tant de manières, qu’on ne verra pas de si tôt la fin de cette littérature. Je ne le dis point pour mésestimer les combattants.

Selon M. Witte (sa position comme kantien est très nette), deux motifs, l’un psychologique et l’autre historique, ont conduit à la conception kantienne de la philosophie. Le motif psychologique est que la conscience apparaît un fait plus profond, plus large que l’expérience. Le motif historique est que la pratique de l’expérience appelle une science de l’expérience, c’est-à-dire une critique de la vie créatrice de la raison, soit dans les sciences spéciales, soit dans les arts et dans l’action.

Quiconque accepte une telle critique ne saurait jamais reprocher à Kant d’avoir voulu construire la science de la nature à priori, et M. Witte le défend contre Stohr de ce reproche, qui ne vient que de la méconnaissance ou de l’ignorance de la nature des « analogies ». Kant a formulé les principes à priori de toute explication naturelle, par où elle devient scientifique ; mais ces principes ou analogies sont des « axiomes de la connaissance », et il ne les donne pas pour des lois de la nature. D’autre part, la théorie de la connaissance est celle, non seulement des règles de la pensée, mais des règles de la pensée et de