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ANALYSES.p. rée. L’illusion de la liberté du vouloir.

Il s’est borné, je l’ai dit tout à l’heure, à constater la filiation de la mélodie nouvelle, et il s’abstient d’en juger la valeur esthétique. Son entreprise était légitime, et son opinion mérite d’être pesée. Mais il ne faut pas, à mon avis, voir dans ce travail l’application que l’auteur y a cherchée de la pensée de Darwin. Si la considération du temps, introduite en diverses recherches, peut autoriser certaines comparaisons entre différentes classes de faits, la langue spéciale du transformisme change de sens hors de la science propre de la vie, et il ne faut pas se laisser aller, fût-ce avec M. Spencer, à recevoir sans critique telles expressions trop générales qui masquent la diversité pour nous fondamentale des phénomènes, sous des ressemblances purement verbales ou logiques.

Lucien Arréat.

Dr Paul Rée.Die Illusion der Willensfreiheit, Ihre Ursachen und ihre Folgen (L’illusion de la liberté du vouloir, ses causes et ses conséquences). Berlin, C. Duncker, 1885, 54 p., in-8o.

M. Paul Rée a pris la peine de démontrer à son tour l’illusion de la volonté qui se croit libre. Il a eu le bon esprit de le faire en peu de pages. La piperie lui paraît évidente, et si l’on en demande la preuve,

« Dans la citrouille je la treuve »,

dit-il à peu près avec le fabuliste. Cette citrouille, ou cette pierre, roule du côté où je la pousse ; elle a le pouvoir de rouler, à chaque instant, et il suffit d’un choc pour que la chose arrive. Dans l’animal, dans l’homme même, cet état potentiel, c’est toute la liberté ; mais cette liberté est prise ici dans le jeu inextricable des causes, et elle ne commence rien absolument. Ce choc, que la pierre reçoit du dehors, est représenté en nous par une suite de mouvements dont nous n’avons pas conscience et que nous n’avons pas d’ordinaire intérêt à démêler, et nous nous figurons produire par un acte initial ce qui se produit en nous comme en effet.

Cet âne tire à droite, où est sa provende. Ne pouvait-il librement tirer à gauche ? Son cerveau est entre nous et son acte. On voit le motif, non les causes du motif. Dans ce qui nous détermine, nous ne distinguons jamais les nuances. Mais s’il nous était possible de reproduire expérimentalement toutes les menues conditions d’un acte réputé libre, nous verrions qu’il se produit nécessairement, et il suffirait d’introduire dans l’expérience la plus petite variation pour changer la direction de l’acte. On en appelle souvent à notre pouvoir de lever le bras droit ou le bras gauche, sans apparente nécessité ; mais celui qui tente cette épreuve cède d’abord au motif de prouver sa liberté, et les gauchers la feront à l’inverse des droitiers, tant est puissante la détermination de l’habitude !

La conséquence de la nécessité, c’est l’irresponsabilité. Il n’y a pas moyen d’y échapper (du reste, l’action garde toujours la marque du