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ANALYSES.é. beaussire. Les principes de la morale.

et les faire entendre à tout le monde sans préparation. Quelle raison dès lors de les ajourner à la fin du livre ? Que dire à ceux qu’elles satisfont, pour les empêcher d’y courir tout droit et de faire des dogmes ainsi acquis non un point d’arrivée, mais un point de départ ? Nous ne sommes donc pas sûrs que la situation prise par notre auteur à l’égard des croyances métaphysiques soit tenable ; Kant, sans nul doute, est plus conséquent. On a beau dire qu’il restera toujours assez d’incertitude sur l’existence de Dieu et la vie future, pour laisser une place suffisante au mérite, à la vertu désintéressée : on ne fera pas que ces « démonstrations » ne refroidissent un peu notre enthousiasme pour la vertu de qui leur prêterait sans hésiter toute la valeur logique que M. Beaussire leur attribue. Peut-être suis-je dupe du charme sans pareil avec lequel M. Renan a rendu à cet égard la pensée d’un Kant et d’un Marc-Aurèle ; mais si profond que soit le respect dont je me sens pénétré pour les braves gens, sans acception de leurs croyances, je ne saurais m’empêcher de trouver plus de finesse et, si l’on veut, plus de poésie à la vertu que ne soutient pas un credo métaphysique trop arrêté. Précisément parce que les dogmes de la religion naturelle exercent l’action la plus directe sur la moralité, je ne puis me défendre de je ne sais quelle prédilection pour ceux qui, sans être si sûrs de ces dogmes, sans en chercher même la « démonstration », ne le cèdent à personne par la pureté de leur vie et la beauté de leur caractère.

Il n’en est pas moins vrai que, à tout prendre, l’inspiration de M. Beaussire est criticiste, c’est-à-dire morale encore plus que métaphysique et religieuse. Je le répète, en effet, et on ne saurait trop le remarquer, ces croyances auxquelles la morale le conduit, il ne les présente pas, quant à lui, comme des principes de la morale. S’il est logique en cela, peu importe ici. En fait, il pousse la tolérance jusqu’à commencer ces mêmes chapitres, dans lesquels il démontre l’existence de Dieu et l’utilité morale de la religion, par proclamer la « légitimité d’une morale sans religion et sans Dieu ». Les principes, tels qu’il les conçoit, tels qu’il les expose dans les trois livres qui font le corps de son ouvrage, n’ont en eux-mêmes rien de théologique. Qu’on en juge par cet excellent résumé que lui-même en donne (p. 238). C’est à propos des cas de conscience, que toute morale, dit-il, doit être en mesure de résoudre, dans l’examen desquels par conséquent les doctrines trouvent leur criterium. Il n’est nullement question à cet endroit de la volonté de Dieu ; elle n’intervient que plus tard, et l’auteur avec raison ne cherche à en tirer là aucune lumière. Pour éclairer les questions de casuistique, il a assez des « trois ordres de principes auxquels il a ramené les bases de la morale », et les voici :

« D’abord les principes formels, tels que Kant les a reconnus, d’après le type fondamental de la volonté autonome. On appliquera utilement la première formule de Kant : « Agis toujours d’après une maxime telle que tu puisses vouloir qu’elle soit une loi universelle de la nature ; » formule trop générale, sans doute, pour qu’elle puisse servir dans tous