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ANALYSES.é. beaussire. Les principes de la morale.

voudrions donner envie de le lire et non en dispenser. Qu’il nous suffise donc d’indiquer son plan et ses conclusions générales ; après quoi il nous permettra de relever deux ou trois points sur lesquels nous ne pouvons nous empêcher de faire des réserves, cela d’ailleurs plutôt au nom de ses principes mêmes que contre eux, car nous les acceptons dans leur ensemble.

Ce pluriel, « Les principes de la morale », mérite avant tout l’attention : il annonce bien l’ouvrage, il en trahit d’avance le fort et le faible. On ne manquera pas de le critiquer, de l’opposer au moins à celui du livre que M. Secrétan a donné en même temps sur le même sujet, « Le Principe de la morale. « Ce dernier titre, évidemment, promet plus d’unité dans la pensée, plus de rigueur systématique. À quoi bon plusieurs principes si un suffit ? Ceux que satisfait la synthèse de M. Secrétan trouveront donc celle de M. Beaussire timide et insuffisante. Et de fait, même en lui passant son pluriel, il est permis de trouver qu’il multiplie vraiment trop les principes de la morale, qu’il y a abus, par exemple à appeler de ce nom toutes les conditions de la « morale subjective », non la liberté seulement et la personnalité (qui déjà sont des attributs nécessaires du sujet moral et non des principes de la conduite), mais jusqu’aux éléments inférieurs de la personnalité, comme la santé et les dons héréditaires. Nous ne sommes pas, néanmoins, pour lui tenir rigueur sur ce point. La grande affaire est de reconnaître ces conditions de la vie morale concrète, d’en tenir compte, de leur donner la place qu’il convient dans la doctrine qu’on édifie ; M. Beaussire le fait, et il faut lui en savoir gré. Ce n’est pas qu’on ne puisse le faire aussi bien en assignant un « principe » unique à la morale : M. Secrétan n’a-t-il pas été le premier à appeler l’attention sur les faits de solidarité ? Seulement la passion de l’unité, bien qu’elle soit le signe et la condition d’une vraie puissance spéculative, offre en morale un danger spécial, que n’évitent pas aisément ceux qu’elle possède, et auquel on se félicite que M. Beaussire ait échappé. Le Principe de la morale, comme de tout, ne peut être que Dieu ; c’est à Dieu qu’il en faut venir dès que l’on pousse à bout quelque recherche que ce soit. De là, chez les esprits qui se livrent à ce besoin d’unité la prédominance presque inévitable des préoccupations théologiques.

On peut trouver que c’est leur force : chez M. Secrétan, par exemple, le secret de la profondeur paraît bien être là, et l’inconvénient est quasi nul, grâce à l’esprit essentiellement libéral et philosophique qui empêche en lui le penseur d’être dupe du croyant. Mais n’est-ce pas là une exception, très remarquée précisément parce qu’elle est rare ? Combien y a-t-il de théologiens moralistes, dont la morale ne souffre pas plus ou moins (à notre point de vue, bien entendu) des habitudes théologiques ? En pensant au grand nombre des exclusifs et des intolérants, on ne peut s’empêcher de goûter l’honnête et large éclectisme qui a dicté à M. Beaussire cette belle page finale de son Introduction : « Nous n’avons pas l’ambition d’édifier un nouveau système sur les débris ou avec les