Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
174
revue philosophique

celle de M. Alexis Bertrand sur l’Aperception du corps humain par la conscience, les recherches de pathologie mentale de M. Ribot, sont mises à profit, aussi bien que les écrits moraux de MM. Janet, Caro, Bouillier, Joly, Charaux, Vacherot, Fouillée, Guyau, ou de Mme Coignet, ou de Mme Clémence Royer. Seule l’école criticiste paraît omise, mais c’est que l’auteur a préféré remonter directement à Kant. Je ne parle pas des Anglais contemporains, Mill, Bain et Spencer ; ils obtiennent, ce dernier surtout, une large part d’attention. Il est vrai qu’en raison même de leur nombre, ces ouvrages ne peuvent être ni analysés ni discutés de près. Très peu même sont l’objet d’un résumé proprement dit : à la grande majorité il n’est fait que des allusions ou de courts emprunts. Mais le but aussi n’était pas de nous donner une série d’études critiques. C’est à un ouvrage dogmatique que nous avons affaire : on ne peut que savoir gré à un philosophe dogmatique, à un moraliste dont l’opinion est arrêtée et la conviction profonde, de rester aussi ouvert aux idées des autres. L’intolérance est si naturelle, dans les choses de la conscience ! La mesure est si rarement gardée entre l’indifférence et la croyance exclusive qui se grise de son propre vin. M. Beaussire est un esprit vraiment libéral : ce n’est pas la première preuve qu’il en donne, mais ce n’est pas non plus la moindre.

À mon gré, il paraît trop s’excuser de son travail, comme s’il doutait de l’intérêt ou du profit que le public y peut trouver. Il n’y a pas tant à se justifier pour avoir cherché à tirer au clair sa propre pensée sur les principes de la morale. Le sujet n’est pas neuf, assurément ; comme on l’a traité avant nous, on le traitera encore après ; mais si c’était une raison, en philosophie, d’abandonner les questions dès qu’elles sont rebattues, auxquelles n’eût-on pas renoncé dès l’antiquité même ? Le tout est de les rajeunir en les posant bien et en y apportant sa personnalité. On a toujours raison de les reprendre quand on croit avoir quelque chose à dire ; et l’on a cent raisons pour une dans une crise comme celle que traverse en ce moment la morale, crise dont la gravité ne peut échapper à personne. C’est une question, à la vérité, de savoir si, par l’examen de conscience philosophique auquel on se livre en pareil cas, on est utile à d’autres qu’à soi-même. J’incline à croire que, dans une grande anarchie d’idées, rien ne vaut, pour tirer les âmes de l’incertitude, que l’effort spontané qu’elles font pour en sortir. C’est à chacun de s’aider lui-même. Nul ne peut lever pour moi des doutes dont je ne souffre pas, coordonner dans mon esprit des doctrines que j’ignore peut-être, ou qui peut-être ne me causent point d’embarras. Il ne saurait cependant être inutile de donner un bon exemple. Des milliers d’esprits, ayant reçu à peu près la même culture que vous, puis subi les mêmes influences, se trouvent dans un état voisin du vôtre : la synthèse que vous leur offrez leur est utile directement, les aide à trouver leur assiette. Aux autres vous faites sentir au moins la nécessité de chercher la leur.

Ce qui serait d’une utilité plus que douteuse, ce serait une sèche analyse du livre de M. Beaussire : on ne l’attend pas de nous. Nous