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nant des thèses sur la philosophie d’un homme qui, en dehors de son culte pour Hippocrate, ne se piquait guère d’esprit de suite. Plus passionné pour la dialectique, où il était passé maître, que pour la vérité, cet enragé disputeur mettait dans la controverse une passion qui jure avec son nom si doux, image du calme et de la sérénité : pour un rien, il assimile ses adversaires à des porcs ou à des ânes ; ce qui n’empêche point M. Chauvet d’en faire un moraliste et même un théologien, bien qu’il ne puisse ignorer que son héros fuyait devant la peste, et qu’il croyait à la divinité d’Esculape et à l’origine céleste des songes. Au lieu du mot théologie, il eût mieux valu écrire téléologie, car ce philosophe bigarré, bariolé, multicolore et versicolore, s’obstinait à croire aux causes finales, ce qui n’est pas de nature à recommander un médecin aux philosophes dignes de ce nom.

Comme tous les ergoteurs, Galien était peut-être de bonne foi au moment même où il écrivait ; mais on ne trouve point chez lui de convictions sincères, d’opinions suivies, en un mot la constance du philosophe et du sage. Le plus remarquable de ses opuscules, qui traite de la subordination du moral au physique, jure avec le gros ouvrage qui a pour but de mettre en évidence la conformité des dogmes d’Hippocrate et de Platon. M. Chauvet, qui a traduit Platon, pour lequel il a naturellement beaucoup de penchant, n’est pas éloigné de partager les vues et les opinions variables d’un homme qui l’a séduit par l’étendue de son savoir, par sa faconde sans pareille, par l’aplomb avec lequel il juge insolemment des maîtres qui valaient mieux que lui, mais gênants pour ses projets de domination ; car, il ne faut pas s’y tromper, Galien aspirait à la dictature, et cette dictature a duré quinze siècles, au grand préjudice de la médecine et de la philosophie. Pour émanciper l’une et l’autre, il a fallu briser le joug que cet ambitieux intolérant fit peser sur tant de générations, en consacrant, au nom d’Hippocrate, des erreurs de fait et de doctrine qui prévalurent contre la vérité.

Si M. Chauvet s’était inquiété tant soit peu des écoles médicales issues du mouvement alexandrin, en prenant pour guide, non pas Galien, mais des autorités moins suspectes, il eût abouti vraisemblablement à d’autres conclusions moins optimistes. Il n’a rien dit de la secte pneumatique ; il s’est fié à des guides suspects pour l’école méthodiste, et il n’a pas vu le parti qu’un philosophe indépendant pouvait tirer des écrits de Sextus improprement nommé l’Empirique.

C’est là que se trouve la solution de ce problème qui résume toute la philosophie de la médecine dans l’antiquité : En quels rapports étaient l’empirisme, le scepticisme et le méthodisme ? Qui résoudrait ce problème tout neuf aurait bien mérité des philosophes qui s’intéressent à la médecine, et des médecins qui aiment la philosophie. Exoriare aliquis.

J.-M. Guardia.