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ANALYSES.chauvet. La philosophie des médecins grecs.

Descartes, que M. Chauvet rapproche, on ne sait pourquoi, de Galien, Descartes confesse que l’amélioration de l’humaine espèce ne peut venir que de la médecine, semblable en cela seulement à l’iatrosophiste qui assure, dans un des livres les plus singuliers de la collection hippocratique, qu’il n’est possible de connaître la nature humaine que par la médecine.

Malgré son spiritualisme, M. Chauvet n’est pas éloigné de cet avis, puisque sa thèse consiste à soutenir que la philosophie doit beaucoup à la médecine. Aussi admire-t-il Hippocrate et Galien beaucoup plus qu’il ne convient, même à un philosophe reconnaissant, et, pour justifier son admiration, il se croit tenu de montrer que le maître et le disciple avaient une philosophie complète, c’est-à-dire un corps de doctrine formé des trois divisions admises par l’antiquité : physique, logique et morale.

On ne peut s’empêcher de sourire au souvenir des textes sur lesquels opère M. Chauvet, peut-être avec plus de confiance que de critique.

Sous le nom d’Hippocrate, et l’on sait qu’il y a eu beaucoup d’homonymes, il nous reste un recueil d’écrits incohérents, contradictoires, les uns achevés, les autres ébauchés, qui embrassent un espace de trois siècles environ, et dont la lecture ne peut produire qu’un scepticisme prudent. La classification de ces écrits disparates est une chimère et un casse-tête. Tous les érudits qui s’y sont essayés ont fait preuve de savoir ; mais la solution du problème est aussi peu avancée qu’elle l’était au xvie siècle ; et de ce chaos, de ce pêle-mêle d’écrits de toute provenance, il est aussi malaisé de tirer une doctrine médicale qu’une doctrine philosophique. Beaucoup de ces traités réputés classiques sont indéchiffrables, inintelligibles par conséquent, comme il appert des travaux du docte médecin hollandais, feu Zacharie Ermerius, lequel n’a pas osé traduire en latin, dans sa somptueuse édition d’Hippocrate, quantité de passages désespérés que Littré a bravement rendus en français. Le commencement du savoir est de reconnaître son ignorance, et c’est pour cela que l’école de M. Cobet mérite le respect et la reconnaissance des savants. Quand on lit dans la Mnémosyne les corrections partielles du texte de Galien, on regrette que ce grand philologue n’ait pas eu l’idée d’entreprendre une édition de cet auteur, dont les écrits sont remplis d’erreurs et de fautes grossières, sans compter que beaucoup ne sont pas authentiques, car il y a un faux Galien, comme un pseudo-Lucien et un pseudo-Plutarque, et les éditions de ce polygraphe lui font honneur de beaucoup d’écrits évidemment apocryphes, ainsi qu’on le voit par les deux opuscules que Galien lui-même a pris la peine de rédiger pour donner une liste de ses ouvrages et indiquer l’ordre dans lequel ils doivent être lus.

Les quelques éditions partielles publiées en Allemagne dans ces dernières années montrent ce qu’il faudrait faire pour arriver à un texte épuré et correct d’un auteur qui écrivait à la diable.

Avant ce travail préliminaire, on risque fort de s’égarer en soute-