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M. Chauvet aurait eu l’occasion de rendre justice et hommage ses confrères en galénisme, parmi lesquels il convient de citer en première ligne les éditeurs de l’auteur le plus fécond de l’antiquité profane, et singulièrement ceux qui ont eu le courage de publier toute l’encyclopédie galénique : Asulanus et Opizoni (Venise, Alde, 1525, 5 tomes in-folio) ; Leonhard Fuchs, Joachim Camerarius, Jérôme Gaemusaeus (Basle, 1538, in-folio, 5 vol. ) ; René Chartier, savant jurisconsulte et médecin célèbre, professeur au Collège de France, le premier qui donna une édition grecque-latine des œuvres réunies d’Hippocrate et de Galien, en 13 volumes in-folio (Paris, 1639-1679), achevée après sa mort par deux de ses confrères, Blondel et Lemoine. Il y consuma sa vie et sa fortune ; ce monument de son admiration ne lui coûta pas moins de cinquante mille écus. Peut-être que l’édition tant vantée et tant critiquée de Chartier eût été surpassée, si les immenses matériaux amassés pendant cinquante ans par Gaspard Hoffmann, un des plus savants et des plus renommés médecins du xviiie siècle, avaient été mis en œuvre ; et l’on aurait mieux aujourd’hui que l’édition de Kuhn (Leipzig, 1821-1823, in-8o, 20 tomes en 22 vol. ), plus commode que belle et correcte. Parmi les abréviateurs de Galien, il en est un qui mérite une mention spéciale, cause de sa haute réputation de médecin et d’helléniste, l’Espagnol Andrès Laguna, dont l’abrégé méthodique et lumineux n’eut pas moins de cinq éditions. Le P. Labbe et le laborieux Goulin ont aussi bien mérité de l’histoire littéraire et de la médecine par leur biographie de Galien.

On formerait une grande bibliothèque en réunissant les éditions partielles et générales, grecques, latines, gréco-latines du plus prolixe des auteurs anciens, et les écrits louangeurs, critiques, polémiques, apologétiques, les thèses et les dissertations dont les œuvres et la personne de Galien ont été l’objet depuis l’invention de l’imprimerie. Jamais commentateur ne fut plus commenté, annoté, pillé et mis à contribution. Il n’y a peut-être que saint Augustin et saint Thomas qui aient eu une autorité comparable à la sienne, après la chute d’Aristote ; car le galénisme a duré plus longtemps que l’aristotélisme ; mais il a été tellement ruiné lui-même, qu’il serait aujourd’hui plus aisé de ressusciter Aristote que Galien.

Rien que ce rapprochement eût pu fournir à M. Chauvet des considérations utiles sur cette question : Comment se fait-il que des philosophes qu’on pouvait croire noyés reviennent sur l’eau, tandis que les médecins, une fois coulés à fond, y restent ? Il ne serait point oiseux de la résoudre, puisque la solution ou tout au moins l’élucidation d’un pareil problème pourrait servir à montrer les ressemblances et les différences qu’il y a entre la philosophie et la médecine. Déterminer les rapports réels de deux sciences (?) aussi incertaines, ce serait une tâche digne d’un philosophe-médecin ou d’un médecin-philosophe, ou plus simplement d’un amateur de la médecine et de la philosophie, qui serait aussi un ami sincère et dévoué de la vérité.