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ANALYSES.chauvet. La philosophie des médecins grecs.

dence et à la certitude, plus familières aux mathématiciens qui déduisent qu’aux observateurs qui opèrent par induction.

Il serait trop facile d’abuser contre M. Chauvet des digressions qu’il a cru devoir faire pour donner à son livre, tout archaïque, ce qu’on appelle, en argot de journaliste, un cachet d’actualité. Outre que ces excursions intempestives n’ajoutent rien à l’intérêt du sujet, elles ne peuvent que dérouter et dépayser le lecteur étranger aux secrets ou du moins aux difficultés de l’histoire d’un art dont les progrès se sont péniblement accomplis à travers tant de vicissitudes. La question des anciens et des modernes, en médecine, est encore à traiter ; elle est, pour ainsi dire, toute neuve, et ce ne sont pas les guides auxquels M. Chauvet a cru devoir se fier qui pouvaient le conduire sûrement à travers les mille détours de cet inextricable labyrinthe ; les uns, surchargés d’érudition et pensant peu par eux-mêmes, justifient le mot profond d’Héraclite, πολυμαθίη νόον οὐ διδάσκει ; les autres n’ont ni savoir ni autorité, et l’on s’étonne de trouver leurs compilations sans conscience alléguées dans un ouvrage si docte et si consciencieux.

Il est vrai que l’histoire de la médecine a tenté jusqu’ici plus de compilateurs érudits que de véritables philosophes ; ce qui ne veut pas dire que des auteurs comme Schulze, Ackermann, Sprengel, Hecker, soient des historiens à la douzaine. Pour la partie ancienne, nul n’a encore surpassé le savant et judicieux Daniel Le Clerc, qu’un ramassier de notre temps a comparé au bon Rollin, comme si l’ancienne médecine avait trouvé en lui un historien comparable à Niebuhr ou à Mommsen, à Grote ou à Curtius. Le médecin de Genève, si modeste dans sa bonhomie charmante, est celui qui a le mieux connu les sources, et s’il s’arrête après avoir exposé le système de Galien, c’est parce qu’il n’avait pas eu le temps de lire et de digérer tous les médecins grecs et latins qui remplirent l’intervalle de la période galénique à la période arabe.

Les Arabes vécurent littéralement des Grecs, en particulier d’Aristote et de Galien, dont ils furent les copistes infidèles et serviles, les commentateurs prolixes et fastidieux. D’eux provient presque tout ce qu’il y a de nauséabond dans la scolastique du moyen âge, où régnèrent côte à côte le médecin et le philosophe, travestis par les Arabes. M. Chauvet n’allègue qu’une seule fois Avicenne, en passant, et il n’a pas eu la curiosité de suivre Galien chez ses partisans fanatiques, qui, après avoir concilié le galénisme avec l’arabisme, sacrifièrent ce dernier à leur idole, et se proclamèrent galénistes, comme d’autres fanatiques se proclamaient cicéroniens.

En exposant les fortunes diverses de Galien chez les Arabes et chez les modernes, l’auteur eût retourné la médaille dont il n’a voulu montrer que l’effigie, et le revers de cette médaille aurait appris au lecteur qu’il n’est point au monde d’autorité si bien établie qui ne finisse par céder la place à la vérité.

Dans ce voyage hors du monde ancien à la suite de son héros,