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de philiatre ; et, en vérité, la récompense serait proportionnée au mérite unique d’adorer les vieilles divinités de l’Olympe médical en un temps où l’on se souvient à peine de l’antiquité, bien que l’antiquité ait agité, entre autres problèmes qui sont, comme on dit, à l’ordre du jour, ceux de l’étiologie et de la guérison de la rage et du choléra.

La médecine expérimentale, qui domine et régente la médecine clinique, celle qui se fait au lit du malade, n’a que faire de la tradition, et tout doucement elle se substitue à ce qu’on avait la bonté d’appeler autrefois l’expérience des siècles. Le milieu n’est point propice aux historiens ; il l’est encore moins aux philosophes qui s’autorisent de l’histoire, comme M. Chauvet, si confiant dans l’avenir, qu’il espère, dans son optimisme imperturbable, que la micrographie et l’expérimentation associées finiront par produire une révolution, une réforme qui sera le renouvellement du spiritualisme.

Ce sont là des convictions et des espérances non moins respectables que chimériques ; et de fait, si l’inoculation préventive s’emparait un jour de la thérapeutique, si le procédé purement empirique de la vaccination s’étendait à toutes les maladies indifféremment, la médecine retournerait à l’empirisme brut, et les médecins ne seraient plus cousins, mais frères des vétérinaires. En effet, le problème jusqu’ici si complexe de la connaissance du mal et du remède se réduirait à cette formule : Étant donnée une maladie, en rechercher le microbe et l’inoculer. Simplification de l’étiologie et du traitement à laquelle ne songèrent jamais les plus hardis des réformateurs, ni Asclépiade, ni Brown, ni Broussais, médecins et physiologistes, il est vrai, et partant infiniment plus préoccupés des fonctions organiques et vitales que des phénomènes purement physiques et chimiques.

Évidemment l’admirateur enthousiaste de l’Introduction à la médecine expérimentale n’a point réfléchi aux conséquences de son admiration et de son enthousiasme pour un livre dont la valeur est petite aux yeux du médecin-philosophe. Encore est-il bon d’ajouter que Claude Bernard fut un physiologiste expérimentateur avec des velléités philosophiques, tandis que le monopole de l’expérimentation est aujourd’hui aux mains des physiciens et des chimistes, dont les tentatives pour s’emparer de la science de la vie datent d’avant la Renaissance ; si bien que, sans vouloir préjuger l’avenir, qui est l’inconnu, tout médecin qui tient de l’histoire de son art la prudence et le scepticisme, en autres termes qui sait penser et douter d’après l’expérience des siècles, tout médecin, instruit par le passé, résistera, s’il est sage, aux promesses fallacieuses d’une panacée universelle et d’une pathologie facile, comme le serait celle qui inscrirait tout simplement le remède infaillible à côté du mal certain.

La logique du médecin qui sait son métier et qui connaît son art fait la place très large à la méthode, au doute, et très petite à l’évi-