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ANALYSES.chauvet. La philosophie des médecins grecs.

Mahomet est son prophète. » Cette épigraphe ne messiérait point à l’ouvrage de M. Chauvet, s’il n’oubliait le Dieu de Galien pour son apôtre, un bon apôtre, très actif, très ardent, sinon très convaincu, qui fit, non sans succès, de la propagande à son profit, pour son propre compte, et détourna dévotement une bonne partie de l’encens qu’on offrait à son idole, comme le sacrificateur et le prêtre que leur métier sacré oblige à vivre de l’autel.

Cet Asiatique à l’esprit souple et retors, d’une dialectique inépuisable et subtile, plein de lui-même encore plus que de son Dieu, fut un pontife et un hiérophante. C’est de lui proprement que date le culte d’Hippocrate ; c’est lui qui l’a fondé, et si solidement, que cette superstition singulière n’a pas encore disparu sans retour. Il n’y a pas cinquante ans qu’on disait encore avec un respect religieux : « le divin vieillard », comme il arrive encore de dire « le divin Platon » ; singulière liturgie qui rappelle beaucoup trop l’apothéose des empereurs romains, le divin Jules, le divin Auguste, et autres divinités impériales qui faisaient rire Sénèque et Julien.

Dans nos Facultés de médecine, le culte des anciens, poussé jadis jusqu’à la superstition, a fait place à la culture des microbes, et l’antique chaire d’Hippocrate, remplie si dignement par Cabanis, sous la première république, n’est plus qu’un souvenir classique. On ne se découvre plus en prononçant ce nom illustre, autrefois réputé sacré ; et nos amphithéâtres de clinique, ornés de sentences hippocratiques, n’entendent plus les hommages des croyants fidèles, comme Laënnec et d’autres. Il n’y a plus de croyants, et le Dieu a déserté le temple. Si, pour donner satisfaction à l’esprit du jour, qui penche visiblement du côté des parasites et des infiniment petits, un cours de bactériologie (c’est le mot consacré) venait s’ajouter à tant d’autres, il y a grande apparence que le professeur ne se mettrait point sous la protection d’Hippocrate ou de Galien. La petite bête que cherchaient les anciens médecins ne ressemble que de très loin à celle que cherchent les modernes ; et, dans la recherche de la vérité, on n’invoque guère que les divinités présentes, par une autre espèce d’apothéose qui rend un homme immortel sa vie durant. C’est beaucoup plus positif, sinon plus raisonnable. La manie de notre siècle est de dicter ses arrêts à la postérité, comme si ce juge impartial et souverain n’avait pas le droit imprescriptible de révision et de cassation.

M. Chauvet, qui est un contemporain, use de ce droit généreusement pour confirmer la gloire de ces vieux maîtres de la médecine qu’il honore avec une ferveur religieuse et une naïveté d’admiration singulièrement touchante. C’est à ces sentiments d’une autre époque, à cette dévotion ardente que le panégyriste un peu prolixe d’Hippocrate et de Galien doit son originalité. Si la Faculté et l’Académie de médecine comptaient encore parmi leurs membres des médecins-philosophes, ou des philosophes-médecins, il aurait droit à un diplôme d’honneur et à une place d’associé libre ou de correspondant national, en sa qualité