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notes et discussions

moment de la scène on se trouve. On la voit d’abord qui lutte ; puis elle se met à genoux, dans une pose suppliante ; puis, brusquement, elle retombe sur son lit, comme terrassée par une force invisible ; elle est couchée sur le dos, étendue en croix, les yeux grands ouverts, les bras raides, les poings fermés ; une seule jambe, la droite, est étendue et contracturée ; la jambe gauche est demi fléchie et relativement molle. Et, fait curieux qui indique avec quelle précision de détails la scène est représentée, d’après les renseignements qu’elle a donnés elle-même en dehors de la crise, son agresseur, après l’avoir placée en travers sur le lit, lui attacha la tête, les deux bras en croix, et une seule jambe, la jambe droite[1].

D’où vient que l’hallucination de cette malade reproduit ainsi l’ordre de la réalité ? c’est parce que c’est l’ordre dans lequel les impressions de la scène de l’attentat ont été reçues et conservées dans son cerveau. C’est donc le fait de l’association des images qui détermine le sens dans lequel l’hallucination se déroule.

On peut, en recourant à l’hypnotisme, multiplier les exemples de ce phénomène. Il suffit de rappeler un souvenir à l’hypnotique ou plutôt de le lui suggérer sous forme d’hallucination, pour que le souvenir des événements qui ont suivi soit évoqué à son tour et forme un tableau ou une scène hallucinatoire. C’est ainsi qu’on peut forcer un sujet à revivre un morceau de son existence, et surprendre des secrets qu’il n’aurait jamais livrés à une interrogation faite pendant la veille et peut-être même pendant le sommeil hypnotique. Nous citerons comme exemple le chanteur dont Mesnet a raconté l’histoire : si on lui présente une canne recourbée qu’il prend pour un fusil, ses souvenirs militaires ressuscitent ; il charge son arme, se couche à plat ventre, vise avec soin et tire. Si on lui présente un rouleau de papier, et qu’on fasse passer devant ses yeux une lumière, les souvenirs de son métier actuel de chanteur de café-concert ressuscitent ; il le déroule et chante à pleine voix. Le même effet se réalise chez nos somnambules. Donnez à W… un parapluie ; aussitôt qu’elle le prend, elle frissonne comme si elle sentait venir l’orage ; puis elle ouvre le parapluie et se met à marcher dans la salle en retroussant sa jupe. De temps en temps, elle saute un ruisseau imaginaire. Placez sur une table un pot à eau, une cuvette et du savon, et attirez le regard de la malade sur ces objets, elle verse l’eau dans la cuvette, prend le savon et se lave les mains, etc[2]. Cette série d’actes automatiques est déterminée par des associations d’images préétablies dans le cerveau du sujet.

On peut encore aboutir au même résultat en employant la suggestion verbale. On dit à l’hypnotique : Vous êtes en tel endroit, il est tel jour, telle heure. Alors, la scène passée se recompose tout entière. Un sujet de M. Bernheim, ancien sergent, blessé à Patay, ouvrier de

  1. P. Richer, Études cliniques sur l’hystéro-épilepsie, p. 90.
  2. Richer, op. cit., p. 693.