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veux, mais la manière dont plusieurs éléments se groupent pour former un complexus. En somme, l’image peut être comparée à un mot produit par la réunion de plusieurs lettres ; chaque lettre, prise à part, ne signifie rien ; c’est leur association dans un certain ordre qui fait le mot et qui exprime une idée. La Mémoire est — comme l’hérédité, cette mémoire de l’espèce — une conservation de la forme.

Il serait curieux de savoir quel est l’effet psychique produit par le lien d’association qui unit les images. Avons-nous une tendance à croire que les choses sont liées dans la réalité de la même façon que leurs images le sont dans notre esprit ? En d’autres termes, avons-nous une tendance à extérioriser un lien d’association comme nous avons une tendance à extérioriser une image ? La loi posée par Dugald-Stewart au sujet des états de conscience s’étend-elle aux relations de ces états ? C’est ce qu’on sera tenté d’admettre, après quelques réflexions. Remarquez que, lorsqu’on se rappelle une série d’événements passés dont on a été témoin, on est convaincu non seulement de leur réalité, mais de l’ordre dans lequel ils se sont suivis ; il est probable que ce second effet provient du groupement des images dans l’esprit et vient de ce que l’on est disposé à croire que les choses se sont passées dans l’ordre où elles apparaissent au souvenir. James Mill avait fait une remarque curieuse à ce sujet ; il disait qu’en général on pouvait distinguer un faux témoin d’un témoin véridique à ce signe que l’un ne suivait pas dans son récit l’ordre des événements, tandis que l’autre y restait fidèle.

L’étude des cas pathologiques confirme ces premières vues. Supposons que chez une malade les images a, b, c, d, e, f soient associées dans un ordre successif, et que spontanément ou artificiellement l’image a devienne hallucinatoire ; aussitôt les images successives b, c, d… prendront corps, chacune à son tour, dans des hallucinations. Ainsi l’hallucination fait pour nous une expérience curieuse ; elle nous montre que non seulement l’image, prise en elle-même, a une tendance à s’extérioriser, mais encore que le lien d’association existant entre deux ou plusieurs images a la même tendance. Voici quelques-uns des faits qui le démontrent le mieux.

On rencontre souvent chez les hystériques en attaque des hallucinations qui reproduisent des événements tristes ou gais de leur vie passée. Une malheureuse malade de la Salpêtrière, que nous prendrons comme type, a été violée à quinze ans ; elle voit encore, après plusieurs années, se réaliser, dans une hallucination terrible de fidélité, les incidents successifs de l’attentat : l’arrivée du séducteur dans sa chambre, la porte fermée à clef, les prières auxquelles répondent les menaces, puis la lutte sur le lit… tout y est, chacun des événements se produit dans le même ordre qu’autrefois. Il y a plus : la malade en proie à cette vision affreuse ne reste pas immobile ; elle joue son hallucination, comme le font en général les hystériques en attaque, et l’on peut reconnaître par ses attitudes, autant que par ses paroles, à quel