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rait contester la valeur, on devait l’attendre d’un auteur qui entend se fonder uniquement sur les faits.

C’est encore un fait indéniable que la conscience a une supériorité de nature sur les autres éléments dont l’ensemble constitue le système moral de l’homme. Cette supériorité n’est pas une puissance (power) ; elle est une autorité. La conscience n’a pas seulement à l’égard des autres principes une influence qui se manifeste accidentellement et à son tour : ceux-ci peuvent être les plus forts quelquefois, souvent, toujours : la conscience n’en reste pas moins la souveraine légitime, qu’aucune déchéance ne peut atteindre, dont aucune rébellion, si prolongée qu’on en suppose le triomphe, ne saurait prescrire les droits. « Qu’elle ait la force comme elle a le droit, qu’elle ait le pouvoir comme elle a visiblement l’autorité, elle gouvernerait absolument le monde[1]. »

Un animal, attiré par un appât, tombe dans un piège et est tué. Il a complètement suivi sa nature. Le même acte est en disproportion avec la nature de l’homme (un natural). Pourquoi ? Est-ce parce que dans ce cas l’homme a agi contrairement à l’amour raisonnable de soi-même (cool self-love) considéré simplement comme partie de sa nature ? Non ; car s’il avait résisté à une passion ou à un appétit, il aurait agi contrairement à une autre partie de sa nature. Est-ce parce que l’amour raisonnable de soi-même est plus fort que l’appétit ? Non, puisqu’il s’est ici trouvé plus faible. C’est donc que l’amour raisonnable de soi-même est, par essence et spécifiquement, supérieur à l’appétit et à la passion aveugles ; et cette supériorité, la conscience la constate et la révèle immédiatement. Elle est ce principe de réflexion qui contrôle les affections et les actes de l’homme ; elle est la règle de la conduite, s’il est vrai qu’il soit légitime de conclure de la constitution d’un être à sa fin, et que cette constitution soit altérée ou détruite aussitôt qu’a cessé de s’exercer cette souveraineté de la conscience.

Par ce principe seul, l’homme est une loi pour lui-même. Expression remarquable, que Butler emprunte à saint Paul, et qui annonce la volonté autonome de Kant. Suivre tantôt une impulsion, tantôt une autre, obéir aujourd’hui à la conscience, demain à l’appétit brutal, comme l’âme démocratique de Platon, sous prétexte que tous les éléments de la nature humaine ont droit de prédominer tour à tour, c’est contredire la notion même de cette nature, c’est nier qu’on soit une loi pour soi-même, c’est proclamer l’anarchie gouvernement légitime du dedans.

  1. Serm. II.