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Espérons d’abord qu’elle finira par s’étendre au globe entier et, malgré ce qu’il en coûtera de pittoresque sacrifié, à jamais regrettable, par consommer l’assimilation universelle. Car c’est seulement alors que l’âge d’or, transfiguré, pourra renaître. Si vraiment toute civilisation une fois fixée moralise, c’est-à-dire parvient à expulser toutes les espèces d’immoralité contraires à son principe, en niant d’ailleurs et débaptisant les autres, — et si, par suite, la démoralisation dans une vieille société ne saurait d’ordinaire provenir que d’inoculations virulentes par son contact avec l’étranger, il s’ensuit que la stabilité d’une civilisation, et aussi bien de la moralité spéciale née d’elle, ne saurait exister qu’au début et à la fin de l’humanité civilisée : au début, quand les foyers urbains de civilisation étaient séparés les uns des autres par des distances considérables, alors infranchissables, comme les étoiles du ciel, en sorte que chacun d’eux pouvait se maintenir inaltéré ; à la fin, quand, après cette longue période de guerres et de révolutions, de conquêtes et d’épurations, qu’on appelle l’histoire, un seul et unique État, une seule et unique civilisation existera sur la terre.

V

Civilisation et mensonge.

Mais les considérations historiques, rassurantes en somme, qui précèdent, ne doivent pas nous empêcher d’attacher une signification sévèrement défavorable, surtout par un côté non encore envisagé, à l’accroissement contemporain, vraiment énorme, de la délictuosité astucieuse et voluptueuse. Cette progression n’implique pas seulement un débordement d’ardeur sensuelle, mais encore, ce qui est tout autrement triste, un déclin général de la véracité et de la bonne foi. De toutes les conditions qui favorisent l’éclosion du délit, même du délit brutal et violent, la plus fondamentale sans contredit est l’habitude du mensonge. Le meurtrier même doit mentir pour cacher ses préparatifs ; devant le juge, il ment le plus souvent, quoique parfois, se faisant honneur de ses prouesses, il soit franc, mais se vante plutôt qu’il n’avoue. Le mensonge ne joue cependant ici qu’un rôle secondaire ; il est au contraire, dans le vol, l’escroquerie, l’abus de confiance, le faux, l’élément essentiel. Quant aux délits contre les mœurs, ils en vivent, non par nécessité uniquement, mais avec délices ; comme la couleuvre est tortueuse, le voluptueux est furtif et sournois par nature ; qui dit séducteur dit menteur. Madame