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BINET. — la perception de l’étendue par l’œil

ne nous fait connaître que l’étendue en surface, mais il nous en donne la mesure exacte : si l’on excite deux points de notre peau, nous pouvons en évaluer la distance, au moins avec une approximation. Il n’en est pas de même pour la vue, qui ne nous fait connaître que des rapports. La vue ne perçoit pas la distance absolue de deux points situés dans le même plan, car elle perçoit en même temps leur distance à l’œil, et l’écart qui sépare sur la rétine les images des deux points ne correspond pas à une distance invariable de ces deux points dans l’espace, mais dépend de leur éloignement par rapport à l’œil, c’est-à-dire de la dimension en profondeur.

Nous avons eu soin de dire, au début de ce travail, que nous n’avions pas pour but de déterminer l’objet propre de la vision, et de distinguer ce que l’œil perçoit directement, par lui-même, par ses propriétés innées, de ce qu’il perçoit indirectement, par l’effet de l’éducation, par son association avec les autres sens. Nous avons expressément réservé cette question. En terminant, nous conservons cette réserve, et nous dirons simplement, à titre de renseignement, qu’à notre avis l’œil perçoit l’étendue en vertu de propriétés acquises, dans lesquelles l’existence de signes locaux tient vraisemblablement une place importante[1].

Mais, quelle que soit la solution qu’on donne à cet important problème, que l’on soit nativistique avec Hering ou empiristique avec Helmholtz, il faut tenir compte de l’élément nouveau introduit dans le débat par notre étude ; en effet, les expériences faites sur l’image consécutive établissent que l’œil ne peut percevoir, ni directement ni indirectement, les dimensions absolues de l’étendue en surface, et peut-être aussi de l’étendue en profondeur ; l’œil ne saisit que des rapports. C’est là une conclusion qui s’impose avec la même force aux théories rivales.

A. Binet.

  1. A. Binet, Fusion des sensations semblables, Revue philosophique, sept. 1880, reproduit dans le Raisonnement inconscient, 1 vol. in-18. Alcan, Paris, 1886.