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d’un point éloigné à celle d’un point plus rapproché[1] : d’où impression de relief. L’expérience de l’image consécutive répond à cette objection elle prouve que l’impression du relief peut être obtenue sans mouvement des yeux, par une simple sensation optique.

Ce n’est pas à dire, toutefois, que l’œil puisse mesurer d’une manière absolue la profondeur ou la distance d’un point : l’œil ne perçoit vraisemblablement que le rapport entre deux longueurs ou entre deux largeurs.

Finalement, on peut affirmer que l’image consécutive, et conséquemment l’œil, reproduit l’étendue dans ses trois dimensions, et qu’elle donne, non pas la mesure absolue de chacune de ces dimensions, mais leurs rapports.

En somme, la surface de la rétine nous paraît être douée des mêmes propriétés que la surface du reste du corps, sauf quelques différences accessoires ; la rétine est un morceau de peau sensible à la lumière. Cette analogie est bien marquée pour la perception de l’étendue en surface ; à ce point de vue, l’œil se comporte, à peu de chose près, comme le toucher. On sait que si l’on excite avec un compas deux points de la peau, le sujet en perçoit la distance, sans faire de mouvements ; on sait aussi que si l’on applique sur une région cutanée dont la sensibilité est délicate un tuyau métallique à bords triangulaires ou carrés, ou de grandes lettres en relief, le sujet reconnaît la forme de ces corps, sans faire aucun mouvement. Nous avons vu que la rétine perçoit également l’étendue en surface, sans aucun mouvement des muscles oculaires. À ce point de vue, l’analogie est frappante entre la vue et le toucher.

Ce qui distingue ces deux sens, c’est la propriété de percevoir la nouvelle dimension, l’étendue en profondeur. Nous avons montré que l’œil possède la perception du relief ; il est clair que le toucher passif, privé du secours des mouvements, ne nous fait connaître que les excitations qui arrivent directement en contact avec la peau[2]. C’est un sens plus borné que la vue. Mais on peut ajouter que ce que le toucher perd en étendue, il le gagne en précision. Le toucher

  1. Bernheim, Les Sens, Bibliothèque scient. intern., p. 122.
  2. Il n’y a qu’un auteur qui ait soutenu le contraire : c’est Stumpf. D’après cet auteur, le contact perçoit non seulement l’étendue en surface, mais l’étendue en profondeur. « En effet, dit-il, la surface que nous sentons lorsqu’un contact se produit sur quelque partie de notre corps doit être une surface plane ou à courbure ; il n’est pas possible d’en imaginer d’autres. Or ces deux espèces de surface impliquent la troisième dimension, car elles énoncent quelque chose qui a rapport à la profondeur, à savoir la présence ou l’absence d’une inclinaison à se recourber en dehors, vers la profondeur. » (Ueber den psychologischen Ursprung der Raumvorstellung, Leipzig, 1873, cité par M. Ribot, Psychologie allemande, p. 107).