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BINET. — la perception de l’étendue par l’œil

suivre avec le regard le contour de cette figure invisible, hypothèse qui nous paraît peu vraisemblable.

Nous avons maintenant le moyen de déterminer dans quelle mesure la sensibilité optique de l’œil nous donne la perception de l’étendue. On résoudra facilement ce problème en cherchant quelles notions de l’étendue peuvent nous être fournies par les propriétés de l’image consécutive.

I. Perception en surface. — Regardez fixement trois points rouges placés à des distances différentes les uns des autres, et projetez l’image consécutive des trois points verts sur un écran, placé à la même distance de l’œil que les points rouges. Vous remarquerez que, dans ces conditions, les points verts paraissent séparés par des intervalles égaux à ceux des points rouges. Donc, l’image consécutive reproduit aussi la forme, une croix rouge donne consécutivement une croix verte ; mais ce second fait se confond avec le premier, car la forme d’une figure plane est réductible à la longueur et à la largeur. On peut dire en deux mots que l’image consécutive reproduit la perception de l’espace en surface, et conclure de là que cette perception peut être fournie par l’œil seul, sans les muscles[1].

Il faut ajouter une remarque : la mesure de la longueur et de la largeur n’est pas donnée d’une manière absolue par l’image consécutive. Par exemple, l’image des trois points verts ne suffirait pas à nous faire connaître le nombre de centimètres qui dans la réalité les séparent les uns des autres. En effet, ces distances sont fort variables ; elles augmentent quand on éloigne l’écran sur lequel l’image consécutive est projetée ; elles diminuent au contraire quand l’écran se rapproche. On sait aussi que l’image consécutive en forme de croix augmente et diminue dans les mêmes circonstances. Ce que l’image consécutive nous apprend, c’est seulement un rapport, un rapport entre deux longueurs, ou un rapport entre deux largeurs, ou un rapport entre une longueur et une largeur. Ce rapport paraît invariable dans toutes les positions données à l’écran. Si, par exemple, la distance du premier point vert au second est le tiers de la distance du second au troisième, les mesures prises nous montrent que ce rapport reste à peu près le même, soit que l’on rapproche ou qu’on éloigne l’écran.

  1. Nous pourrions citer un autre fait qui prouve que l’œil peut apprécier la forme d’un objet, sans exécuter de mouvements : on perçoit la forme des images entoptiques de l’ail (corps opaque de la cornée, du cristallin et de l’humeur vitrée) et de l’arbre vasculaire de Purkinje, bien que ces images, se déplaçant avec les mouvements de l’œil, ne puissent pas être contournées par le regard. Cette preuve a été indiquée un peu vaguement par M. Helmholtz, qui défend la même opinion que nous (Optique physiologique, p. 687).