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BINET. — la perception de l’étendue par l’œil

impressions optiques. Ce sont là des procédés détournés de percevoir l’étendue, procédés fondés sur des souvenirs et sur des circonstances spéciales. Nous les éliminerons complètement de notre discussion.

Il nous semble qu’il existe un moyen de faire l’analyse entre la sensibilité rétinienne et la sensibilité musculaire de l’œil. Ce moyen est fourni par l’image consécutive, qu’on peut comparer à une photographie de l’impression lumineuse reçue par la rétine. Suivons cette comparaison, et prouvons-en l’exactitude.

Tout d’abord, pour obtenir une image consécutive bien nette, il faut regarder l’objet coloré en maintenant l’œil complètement immobile. Pourquoi cette immobilité est-elle nécessaire ? C’est sans doute pour que chaque partie de l’objet impressionne les mêmes points de la rétine pendant toute la durée de l’expérience. Premier rapprochement de l’image consécutive avec une épreuve photographique ; pour obtenir une photographie à contours nets, il faut évidemment que la plaque sensible reste aussi immobile que l’objet.

Supposons ensuite que l’œil exécute de petits mouvements, en regardant l’objet coloré dont on veut obtenir l’image consécutive, quel effet ces mouvements devront-ils produire sur cette image ? Si notre première comparaison est juste, ces déplacements de l’œil, loin d’être utiles à la production de l’image consécutive, nuiront à la netteté de ses contours, en déplaçant la photographie qui se fait sur la rétine ; en d’autres termes, les mouvements de l’œil seront tout à fait comparables, comme effet, à des secousses imprimées à la plaque sensible, pendant le temps de pose.

L’expérience confirme de tous points ces prévisions. Cherchez à obtenir l’image consécutive d’un triangle de papier rouge, non pas en regardant fixement un point de la figure, mais en suivant son contour par un mouvement continu de l’œil. Vous n’obtiendrez ainsi qu’une tache verte très pâle, et sans contours appréciables.

On peut varier l’expérience. Au lieu d’un triangle, prenez une petite bande de papier rouge de cinq centimètres de longueur, placez-la verticalement, et astreignez votre regard à la parcourir d’un mouvement uniforme de haut en bas et de bas en haut pendant deux minutes. Au bout de ce temps, vous obtenez comme image consécutive une bande verte deux fois plus longue que la bande rouge. Ce résultat, quoique différent du précédent, s’explique par la même cause ; les mouvements de va-et-vient de l’œil dans le sens vertical ont eu pour effet de déplacer dans ce même sens l’image de la bande rouge sur la rétine, et de lui faire occuper successivement une étendue plus grande que si elle était restée immobile ; c’est ce