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que la perception en profondeur est indirecte, tandis que la perception en surface est directe. C’est une concession partielle à l’opinion anglaise. Mais M. Janet, dans un savant article publié par la Revue philosophique, est revenu sur ce problème et a conclu que l’œil perçoit directement la distance, ainsi que les autres dimensions de l’étendue, et qu’en définitive la vue est non seulement le sens de la couleur, mais encore le sens de l’espace.

Nous ne discuterons pas ces trois opinions ; les expériences que nous allons rapporter ne peuvent servir ni à les confirmer ni à les détruire. Le point que nous voulons étudier est distinct ; le voici. L’œil perçoit-il les signes de l’étendue, ou seulement la couleur et la lumière ? Ce problème est d’autant plus difficile à résoudre que la rétine et les muscles fonctionnent constamment ensemble pendant la vision d’un objet extérieur. Dans la perception de la profondeur interviennent les muscles qui produisent la convergence des axes oculaires et l’adaptation focale des lentilles. Dans la perception de l’étendue en surface interviennent les mouvements de l’œil décrivant le contour de l’objet visible, ou parcourant la distance de deux points situés dans le même plan. « Il n’y a pas d’exemple, disait Stuart Mill, d’une personne née avec le sens de la vue, mais sans ceux du toucher et des muscles ; et il ne faudrait rien moins que cela pour nous permettre de définir avec précision l’étendue et les limites des conceptions que la vue est capable de donner, indépendamment des associations que ses impressions forment avec celles du sens musculaire. »

Ceci étant posé, comment peut-on faire l’analyse entre la part de la rétine et la part des muscles oculaires dans la vision des objets extérieurs ? Comment peut-on déterminer lequel de ces deux éléments a le plus d’importance pour la perception de l’étendue ? Telle est la question que nous voulons examiner.

Pour poser cette question sur son véritable terrain, il faut écarter tous les cas où la perception de l’étendue est influencée par des notions déjà acquises relativement aux dimensions réelles de l’objet. Il est clair que lorsque nous avons reconnu la présence d’un homme dans notre champ visuel, nous pouvons apprécier sa grandeur, grâce à la connaissance que nous avons de la taille humaine, et sans tenir compte de tous les éléments de notre impression optique, comme nous serions obligés de le faire si nous voulions percevoir les dimensions d’un objet inconnu. De même, quand un objet en cache un autre partiellement, nous pouvons en conclure que le premier corps est plus rapproché de nous que le second, sans avoir besoin de comparer la distance des deux objets à notre œil, au moyen de nos deux