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TARDE. — problèmes de criminalité

fait diminuer dans son nouveau séjour la criminalité cruelle, qui auparavant y sévissait, et elle y fait augmenter la criminalité perfide ou lascive, qui naguère était inférieure à la première. Une statistique faite à des époques où, la civilisation n’ayant pas encore passé du midi au Nord, le Nord était plus barbare, eût certainement montré que les crimes de sang étaient plus nombreux dans les climats septentrionaux, où maintenant ils sont plus rares, et provoqué les Quételet d’alors à formuler une loi précisément inverse de la loi ci-dessus. Par exemple, si l’on divise l’Italie actuelle en trois zones, Lombardie, Italie centrale, Midi, on trouve que dans la première il y a par an sur 100,000 habitants 3 homicides, dans la seconde près de 10, dans la troisième plus de 16[1]. Mais n’estimera-t-on pas probable qu’aux beaux jours de la Grande Grèce, quand florissaient Crotone et Sybaris, au sud de la péninsule toute peuplée de brigands et de barbares dans le Nord, à l’exception des seuls Étrusques, la proportion des crimes sanglants aurait pu être renversée ? Actuellement, il y a en Italie, à chiffre égal de population seize fois plus d’homicides qu’en Angleterre, neuf fois plus qu’en Belgique, cinq fois plus qu’en France. Mais on peut bien jurer que sous l’empire romain, il en était autrement, et que les sauvages Bretons, les Belges même et les Gaulois l’emportaient en férocité habituelle de mœurs, en bravoure et fureur vindicative, sur les Romains amollis.

La Corse aujourd’hui, comparée à la France, présente un chiffre exceptionnel d’homicides causés par la vendetta, et, en revanche, un minimum de vols. Mais sept ou huit cents ans avant l’ère chrétienne, quand l’Étrurie, après Carthage, apporta ses arts industriels et agricoles à cette île pendant que la Gaule était encore plongée dans la barbarie, il est à croire que le chiffre continental des crimes inspirés par la vengeance, passion dominante des barbares, n’était pas inférieur au chiffre insulaire.

Quant à la France, il est bon de signaler que, malgré Quételet, elle échappe à la loi d’inversion signalée. Qu’on jette un coup d’œil sur les belles cartes d’Yvernès annexées à la statistique criminelle de 1880. Sur la carte des crimes contre les personnes, on ne remarque nullement l’assombrissement voulu des teintes du Nord au Midi ; ce qui frappe seulement, c’est leur noirceur dans le voisinage des grandes villes, Seine, Bouches-du-Rhône, Gironde, Loire-Inférieure, Nord, Seine-Inférieure, Rhône. La carte des crimes contre les propriétés montre-t-elle un damier de teintes inverse du précédent ? Point du

  1. Criminologia, par Garofalo, p. 397.