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le tableau, il est curieux de remarquer, et M. Radestock ne manque pas d’y insister, combien les hommes de génie, une fois leur inspiration passée, ont peu de souvenir et d’intelligence de ce qu’ils ont fait. Celui-ci s’admire lui-même, celui-là se juge fort mal, un autre ne reconnaît même pas ce qu’il a écrit. On songe tout naturellement à ce propos que nous oublions la majeure partie de nos rêves et que les pensées qui ont traversé l’esprit dans ces états anormaux du délire, du somnambulisme, de l’hypnotisme provoqué ne laissent aucun souvenir au réveil. N’est-il pas très curieux de constater que le génie peut se ressouvenir de ces choses oubliées quand l’inspiration revient une seconde fois la même, absolument comme cela a lieu dans le sommeil somnambulique ?

Ce sont là sans doute des observations très intéressantes ; mais on ne peut guère en tirer une identification du génie et de la folie ; M. Radestock d’ailleurs serait le premier à s’y opposer. Elles montrent seulement qu’il y a dans l’inspiration du génie une excitation anormale et dangereuse qui sert de point de départ aux conceptions les plus élevées. Ce qu’il ne faut pas oublier, et l’auteur n’y insiste peut-être pas assez, c’est que le génie ne consiste pas uniquement dans cet état anormal, il en sort si l’on veut, mais il s’élève au-dessus. L’association accidentelle entre une pomme et la lune est bien le point de départ, mais la théorie de la gravitation universelle est la conséquence à laquelle arrive Newton et à laquelle l’aliéné n’arrive jamais. Le génie sera peut-être un somnambulisme, mais un somnambulisme singulièrement lucide. D’ailleurs M. Radestock ne voulait pas tirer de ses observations une théorie complète du génie, il termine simplement par quelques conseils pleins de sagesse sur l’éducation des esprits, surtout quand ils présentent de grandes dispositions intellectuelles. Son ouvrage ne résout donc pas la question de la nature du génie, mais il apporte, comme il le dit, une « contribution » à cette étude : il épargnera aux nouveaux chercheurs un énorme travail d’érudition et il ne laissera pas de leur fournir, comme nous l’avons vu, de précieuses indications.

Pierre janet.

A. Posada. Principios de derecho político (Introduction au droit politique), in-8o, 350 p. Ramos, Madrid, 1884.

Les études proprement politiques ne sont plus de mode chez nous. Cela reviendra. C’est là une de ces traditions françaises qui s’oublient un moment, mais qui ne se perdent pas. La théorie se fait presque toujours chez nous en vue de l’action prochaine, et il est certain que les époques où le droit et la liberté d’en discuter supportaient le plus d’entraves furent précisément les plus fécondes en théoriciens politiques. À cette heure, et depuis bon nombre d’années déjà, les esprits les plus agissants sont occupés à l’essai, à la mise en œuvre de théories qui ont vingt ou trente ans de date, sinon plus. La phase des applications n’est